Les Exilés de la Terre (1888) d'André Laurie,
en marge des Voyages Extraordinaires.
Incontestablement, Paschal Grousset (1844–1909) aurait pu être l'un des héros des Voyages extraordinaires. Il n'est pas dans notre propos de détailler ici la vie si remplie de ce personnage (on pourra consulter à ce sujet la biographie que lui a consacrée Xavier Noël). Nous nous contenterons de présenter et commenter sa contribution au roman scientifique à la Jules Verne, particulièrement dans le domaine de l'astronomie.
Paschal Grousset était un maniaque du pseudonyme. Nous lui en connaissons une demi-douzaine, et sûrement certains nous ont-ils encore échappés ! André Laurie était celui utilisé pour ses romans d'aventures publié aux éditions Hetzel.
Les Cinq cents millions de la
Bégum (1879) et L'Étoile du Sud (1884)
ont été vendus à Hetzel et signés par Jules
Verne, Grousset aux abois abandonnant alors tout ses droits (ce qu'il
regrettera amèrement par la suite). L'Épave du Cynthia
(1885) a été cosigné avec Jules Verne (mais
publié en dehors de la série des Voyages
extraordinaires). Après L'Héritier de Robinson
(1884) et Le capitaine Trafalgar (1886), romans d'aventures, Les
Exilés de la Terre sera le premier roman scientifique qu'il
publiera sous le nom d'André Laurie. C'est aussi un roman qui
évoque les problèmes politiques du Soudan africain, comme
l'ont montré Seillan (2006) et Picot (2009).
Deux écrivains qui se font de l'ombre
André Laurie fut « l'homme qui fait de l'ombre à Jules Verne », selon une expression revendiquée par J.-P. Picot (2009). Mais ne se sont-ils pas fait mutuellement de l'ombre ?
Contrairement à Jules Verne, Paschal Grousset avait acquis très tôt une culture scientifique. Son père était professeur de mathématiques. Il commença des études de médecine avant de s'engager dans le journalisme. Il milita dans des associations à vocation pédagogiques. Il tint des chroniques scientifiques (sous son propre nom ou sous le pseudonyme de Dr Blasius) dans L'Étendard et Le Figaro en 1867–1869.
Alors que Jules Verne écrivait dans son fauteuil Le Tour du Monde en quatre-vingt jours, Paschal Grousset bouclait le sien en un peu plus de deux ans, bien malgré lui, avec une escale forcée de 17 mois au bagne de Nouvelle-Calédonie.
Le contexte géopolitique
Le roman se place au moment de la crise du Soudan en 1884 : Le conflit entre les Anglais et l'armée islamiste du Mahdi Mehemet Achmet. Le siège de Khartoum, tenu par le général Gordon, image d'Épinal de l'Angleterre victorienne. L'attente de renforts qui viendront trop tard. La chute de Khartoum et le massacre des Européens (dont le général Gordon et le consul de France Herbin).
En 1884, Grousset a publié chez Hetzel, sous son pseudonyme Philippe Daryl, les Lettres de Gordon à sa sœur, dont il était probablement le traducteur, précédées d'une substantielle notice historique et biographique. Il connaissait donc parfaitement la situation soudanaise qu'il a mise en scène.
Pour plus de détails, nous renvoyons aux analyses de Seillan (2006)
et Picot (2009).
Édouard Manet, L'Évasion de Rochefort, vers 1881 (détail). Henri Rochefort tient la barre. À gauche, Olivier Pain. Derrière, les silhouettes de Paschal Grousset, Francis Jourde, Achille Barrière et Charles Bastien.
On ne peut manquer d'évoquer le communard Olivier Pain (1845–1885). Cet ancien compagnon de déportation et d'évasion de Paschal Grousset était au Soudan à l'époque du récit. Les raisons de sa présence (était-il seulement correspondant de presse ?) et les circonstances de sa mort au Soudan (victime de fièvres ou fusillé par les Anglais ?) nous sont encore mystérieuses. Pain et Grousset sont-ils restés en relation ? Pain ne serait-il pas la source (ou l'une des sources) des informations dont Grousset a pu disposer sur le Soudan ? Grousset aurait pu mettre en scène son ancien camarade dans son roman, mais il ne l'a pas fait. Sans doute pour ne pas mélanger les genres.
Jules Verne ne manquait jamais d'illustrer les propos géographiques de ses romans par une carte, souvent redessinée par ses soins. Ce n'est pas le cas ici. Pour pallier ce manque, voici donc une carte du cadre du récit, tirée du Journal du général Gordon (1886). On peut aussi consulter la Nouvelle Géographie Universelle d'Élysée Reclus (1885, livre X, L'Afrique septentrionale – bassin du Nil).
Le scénario scientifique
Une bande d'escrocs fonde une société — la Selene-company limited – dont l'unique but est de gruger ses actionnaires en leur promettant... la Lune ! Mais lors de l'assemblée générale de la société, un jeune et brillant astronome — Norbert Mauny — renverse la situation en proposant un moyen concret d'aller à la Lune (p. 70).À la panoplie déjà bien garnie des voyages à la Lune, André Laurie ajoute ici un moyen original : l'utilisation du magnétisme (p. 81). Un puissant aimant va attirer la Lune. Bien sûr, ça ne peut pas marcher. D'une part, le champ magnétique d'un aimant est dipolaire et à grande distance, l'attraction et la répulsion des pôles nord et sud se compensent : il ne peut y avoir attraction. D'autre part, la Lune n'est pas magnétique — mais on ne le savait pas encore à l'époque.
L'autre trouvaille d'André Laurie sera d'imaginer un aimant mi-naturel, mi-artificiel, en entourant une montagne (le pic fictif de Tehbali ; p. 382) de matériau magnétique (de la pyrite magnétique ; p. 81) d'un circuit électrique pour constituer un gigantesque électro-aimant.
L'atmosphère de la Lune
L'existence d'une atmophère lunaire était une préoccupation constante dans ce genre de romans. Si l'atmosphère lunaire est inexistante ou insuffisante, comment respirer ? En utilisant des appareils respiratoires, déjà mis à profit en de multiples occasions dans les Voyages extraordinaires.Exercice littéraire
Vous êtes Jules Verne et vous avez décidé de cosigner Les Exilés de la Terre afin que ce roman soit publié dans la série des Voyages Extraordinaires. Vous devez donc le reprendre et le verneriser.Bibliographie
Plus d'info ? Voyez Les Exilés de la Terre au fil du texte.
© 2012–2022 Jacques Crovisier
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