Retour au sommaire.

En bonus : La Prodigieuse Découverte d'Armand Audoy permet à des véhicules en lévitation d'atteindre économiquement des vitesses faramineuses, ruinant du coup les entreprises de chemin de fer.

Prodigieuse Découverte et ses incalculables conséquences sur les destinées du monde :
Armand Audoy et la lévitation (1867).

Notes brutes de lecture :

Ce roman est d'abord paru sous le simple titre Prodigieuse Découverte dans la Revue Moderne (Vol. 39 (1 dec. 1866), pp. 511–540 et Vol. 40 (1 jan. 1867), pp. 129–162), version reproduite dans le Bulletin de la Société Jules Verne (179, avril 2012, pp. 17–ff).

La publication définitive est sortie chez Hetzel en juin 1867 (222 pp. in-18). Les deux éditions ont été publiées sous le pseudonyme de X. Nagrien (contraction de navigateur aérien). La paternité du roman a été pendant longtemps attribuée à Jules Verne, sur la foi d'éditions pirates portant sa signature publiées en Espagne, en Italie et au Portugal.

Armand Audoy

L'histoire de cette publication et de la redécouverte de son auteur réel a été relatée par Volker Dehs (Curieuse évolution d'une prodigieuse découverte, avril 2012, Bull. Soc. Jules Verne, 179, pp. 3–16). D'abord, Simone Vierne découvre dans une lettre de Jules Verne à son éditeur qu'il n'est manifestement pas l'auteur de Prodigieuse Découverte (Simone Vierne, L'Authenticité de quelques œuvres de Jules Verne, 1966, Annales de Bretagne, 73(3), pp. 445–458). Peu après, Marie Cordroc'h met la main dans les archives Hetzel sur une facture relative à Prodigieuse Découverte, qui révèle le nom de l'auteur réel, François Armand Audoy (Simone Vierne, Jules Verne et le roman initiatique, 1973, Éditions du Sirac, p. 50 et note 4 p. 267). En fait, le pseudonyme avait déjà été éventé dans la nécrologie d'Armand Audoy prononcée en 1891 par l'un de ses condisciples (Albert Kaempfen, Notice sur M. Audoy, 1892, Bulletin de l'Association amicale des secrétaires de la Conférence des avocats à Paris, 14, pp. 212–216).

François Armand Audoy (1825–1891) était alors un avocat, publiciste et écrivain à ses heures. Il deviendra l'un des premiers préfets de la IIIème République (nommé en 1870 préfet du Lot-et-Garonne).

L'éditeur Hetzel a sollicité l'avis de Jules Verne sur ce roman. Il est loin d'être enthousiaste :

« J'ai lu Prodigieuse découverte. C'est de l'Edgard Poe pour l'insuffisance des moyens physiques, moins le génie de cet étrange conteur. En somme, je ne trouve pas cela fameux. »
(Lettre de Jules Verne à Pierre-Jules Hetzel du 9 août 1867)
Mais Hetzel a déjà publié le roman d'Audoy sans attendre cet avis. Ce sera un fiasco. Sur un tirage de 3000 exemplaires, 1612 iront au pilon.

Un nouveau moyen de locomotion

La prodigieuse Découverte se révèle être celle de l'antigravité... Tout comme l'électricité peut être positive, tout comme l'aimant peut attirer ou repousser, la matière pourrait pourrait avoir une gravité positive ou négative. En en dosant correctement les constituants, on pourrait léviter dans l'espace, sans consommation d'énergie.

L'inventeur Nagrien a isolé «  deux corps électro-métallico-chimiques [qu'il] a nommé le pos et le neg, par de simples abreviations des mots positif et négatif ! [.../...] Isolés, ils se comportent comme tous les autres corps, tombent à terre et obéissent aux lois de la seule gravitation. C'est leur juxtaposition qui leur donne leurs qualités particulières. [.../...] [Il a confectionné] une boule composée d'un hémisphère de pos et d'un hémisphère de neg. Quand le pos était tourné vers la terre, la boule tombait. Quand c'était au contraire le neg, elle s'élevait avec une grande force. »
(Prodigieuse Découverte, Chap. 2)

Appliquée à des moyens de transport malgré tout classiques, elle permet aux voyageurs de parcourir la France, puis le monde, à la vitesse de nos TGV actuels... Et celà pour un prix dérisoire. C'est la ruine assurée pour les chemins de fer, leurs sociétés et tous leurs actionnaires...

Il faut souligner la frilosité d'Armand Audoy qui limite l'application de cette invention aux voyages terrestres et pas un instant n'envisage de l'étendre à des voyages spatiaux.

Mais l'artifice de l'antigravité est-t-il réellement nouveau ? On peut relever de nombreux antécédents dans la littérature curieuse et fantastique, par exemple chez Jonathan Swift (1667–1745) et Rétif de la Bretonne (1734–1806). [ J. Swift, Voyages de Gulliver, III Voyage à Laputa (1726). La description du mécanisme de l'Île volante dans le Chap. III (pp. 176–182, édtion de La Pléïade) rappelle furieusement le dispositif de la machine d'Armand Audoin. Chez Rétif de la Bretonne, l'appareil volant de Victorin dans La Découverte australe par un homme volant ou le Dédale français (1781) est plutôt une adaptation à la Léonard de Vinci des ailes d'oiseau. ]


De gauche à droite : L'île volante des Voyages de Gulliver de Swift, illustrée par Granville, l'homme volant de La Découverte australe de Rétif de la Bretonne, et la couverture d'une édition italienne de la Prodigieuse Découverte signée Giulio Verne !.

La fiction rattrappée par la réalité

Le Maglev, projet expérimental japonais, est un train à lévitation magnétique qui atteint une vitesse comparable à celles des TGV et des véhicules imaginés par Audoy.

La lévitation est possible et a été réalisée :

D'une part, en utilisant la supraconductivité à très basse température et les forts courants induits et les champs magnétiques qu'elle permet, il est possible de maintenir des corps en suspension dans l'espace sans consommation d'énergie (si ce n'est celle nécessaire à l'entretient de la très basse température). C'est l'effet Meissner connu depuis 1933. Cette expérience reste encore une curiosité de laboratoire.

D'autre part, des véhicules sur rail en lévitation magnétique ont été conçu (comme le Maglev japonais, dès 2003). La sustentation électromagnétique utilise des électro-aimants, supraconducteurs ou non. Une importante consommation électrique est nécessaire. Ces TGV sans roues restent peu répandus en raison du coût très élevé des infrastructures. (Voir l'article Des trains flottant au dessus des rails de J.-M. Courty et É. Kierlik, Pour la Science, mai 2013, 427, 88–90.)

Il faut cependant souligner que dans ces deux cas, il s'agit de magnétisme et non d'antigravité ; mais en fin de compte, Prodigieuse Découverte était-elle aussi farfelue que le prétendait Jules Verne ?

Une mystérieuse chute de météorites

On relève dans le roman une allusion à un curieux événement qui a pu avoir une origine réelle :

« On se rappelait l'histoire d'une maison nuitamment criblée de pierres en 1848 sans qu'on eût jamais pu trouver une explication satisfaisante du phénomène. »
(Prodigieuse Découverte, Chap. 1)
Bien que dans la logique de l'histoire, il s'agit de jets de pierres attribuables au navigateur aérien, héros du roman, cet événement fait immédiatement songer à une chute de métorites. Si c'est une allusion à un fait réel, on devrait en retrouver la trace dans les annales de l'époque.

Un fragment de la météorite de Marmande.
© Guy Consolmagno, collection du Vatican.

Pour l'année 1848, le Catalogue of Meteorites de Monica Grady (2000, Cambridge University Press) répertorie la chute de quatre météorites. Trois sont tombées en Inde, en Norvège et aux États-Unis. La quatrième, nommée Marmande (les météorites sont désignées par le lieu où elles ont été trouvées), une météorite de 3 kg, est tombée vers Montignac, près de Marmande (Lot-et-Garonne) le 4 juillet 1848. Des fragments en sont conservés au Muséum national d'histoire naturelle de Paris, au Naturhistorisches Museum de Vienne, au British Museum de Londres... Ces fragments proviennent de la vente (par le truchement du naturaliste Nérée Boubée qui en tenait boutique) de la collection d'un certain colonel Gabalda, le lieu et la date de la chute figurant sur une étiquette (R.P. Greg, 1862, Phil. Mag., (3)24, 540). Cependant, aucune information sur cette chute n'a pu être retrouvée dans les journaux d'époque. Si bien que des doutes ont pu être émis, sinon sur l'authenticité de la météorite, du moins sur la véracité du lieu et de la date de sa chute (A. Lacroix, 1927, Bull. MNHN, 33(5), 444). (Voir également ici et Les Météorites de France de Pierre-Marie Pelé, 2005, BRGM éditions, p. 183.)

Qui était ce Gabalda ? La base Léonore nous met sur la piste de deux militaires, des frères, tout deux nés et décédés à Villefranche-de-Lauragais (Haute-Garonne) : Le capitaine aide de camp Georges Marie Thérèse Gabalda (2 mars 1775–6 mai 1839) et le chef de bataillon aide de camp Jean Joseph François Gabalda (27 juin 1782–12 octobre 1851). Notre homme pourrait être le second. Des mentions dans les annales de diverses sociétés savantes nous informent qu'il était collectionneur de curiosités naturelles et archéologiques.

La météorite, Audoy, Gabalda, Boubée, tout tourne dans la région du midi toulousain. On se souvient qu'Audoy est originaire de Lavaur (Tarn). En 1848, il faisait ses études de droit à Toulouse. Il est donc possible qu'il ait eu vent de cet événement survenu dans sa région. Mais il est également possible que l'événement mentionné dans Prodigieuse Découverte soit fictif et que son lien avec la météorite Marmande — par ailleurs d'origine non confirmée — ne soit qu'une coïncidence.

Le jour fantôme

Parcourir le monde à grande vitesse ouvre des perspectives nouvelles. On découvre avec surprise dans le roman une anticipation du jour fantôme qui sera à la base de la plaisanterie cosmologique dans Le Tour du monde en quatre-vingts jours de Jules Verne (qui ne sera publié qu'en 1873). (Voir notre Chronologie du jour fantôme.)

« On pourrait faire le tour du globe en six jours, onze heures, quarante minutes. On atteindrait presque le sixième de la vitesse de la surface de la terre tournant sur son axe. Si, partant d'un point de l'équateur le dimanche matin, par exemple, on se dirigeait vers l'ouest, on serait de retour au même point le samedi soir. Seulement on aurait gagné un jour en route, de même que dans tout voyage en ce sens autour de l'équateur. Il serait vendredi pour le voyageur au moment de son retour, et samedi pour les habitants du point de départ et d'arrivée, qui auraient vu six couchers du soleil pendant que le voyageur n'en aurait vu que cinq. »
(Prodigieuse Découverte, Chap. 7)
Mais pour Jules Verne, c'est un gain d'un jour pour un voyage vers l'est. Ce n'est pas une erreur, mais une différence de référentiel. Audoy se place du point de vue du voyageur, et Jules Verne, de celui des témoins restés au point de départ/arrivée.

Ça commence comme Robur le Conquérant...

Ce roman rappelle à plusieurs reprises la faconde de Jules Verne, ce qui a sûrement contribué à rendre crédible son attribution à cet auteur. Au début de Prodigieuse Découverte, Nagrien dépose souvenirs et témoignages de son passage dans les airs aux quatre coins de Paris. Dans le premier chapitre de Robur le Conquérant (1886), Robur fera la même chose aux quatre coins du monde.

...Et ça se termine comme Hector Servadac

Pour satisfaire Hetzel, Jules Verne avait dû terminer Hector Servadac (1877) par « mettons que je n'ai fait qu'un rêve », ce qui a le bonheur d'excuser toutes les entorses au rationalisme scientifique. Audoy a également changé la fin de son roman (est-ce aussi à la demande d'Hetzel ?) : le narrateur Nagrien finit par être reconnu comme fou et enfermé (dans la première version, il disparaissait brusquement)... Une autre façon d'éluder les invraissemblances scientifiques...

Retour sur l'antigravité

Les propos tenus bien plus tard par Jules Verne sur l'antigravitation utilisée par H.G. Wells (la cavorite dans Les premiers Hommes dans la Lune, 1901) valent aussi pour le roman d'Audoy.

« Je trouve que ses romans ne reposent pas sur des bases scientifiques. Non, il n'y a pas de rapport entre son travail et le mien. J'utilise la physique, lui, invente. Je vais sur la Lune dans un boulet de canon, lancé par un canon. Là, il n'y a pas d'invention. Il va sur Mars dans un aéronef qu'il construit dans un métal qui abolit les lois de la gravitation. Ça c'est rès joli, s'écria Monsieur Verne sur un ton animé, mais montrez-le moi ce métal. Qu'il me le fabrique. »
(Robert Sherad, 1903, entretien avec Jules Verne)

L'antigravité, maintenant devenue l'une des ficelles classiques de la science fiction moderne, n'en surprend plus le lecteur, comme le souligne Pierre Versins :

« L'antigravité, appelée même familièrement l'antigrav, par le moyen d'appareils ad hoc est devenue un tel lieu commun en science fiction qu'on ne spécifie même plus comment on obtient un tel miracle. »
(Pierre Versins, 1972, Encyclopédie de l'utopie..., p. 54)

© 2013-2017 Jacques Crovisier

Retour au sommaire.