Institut national de recherche scientifique français Univerité Pierre et Marie Curie Université Paris Diderot - Paris 7

Orages de Type III : les apports de ISEE-3

jeudi 27 novembre 2014, par Carine Briand & Jean-Louis Bougeret

Introduction

Le soleil émet plusieurs émissions intenses entre 10kHz - 100MHz. On distingue les émissions liées à la propagation d’ondes de choc dans le milieu interplanétaire (dîtes émissions de Type II), celles liées aux éruptions solaires (appelées sursauts de Type III), et des orages de Type III. Les deux premiers types d’émissions sont relativement brèves (quelques heures) alors que les orages peuvent durer plusieurs jours. La figure 1 illustre les trois types d’émission.

Les émissions radio solaires
Les émissions radio solaires

Figure 1 : Illustration des trois émissions radio typiques observées dans le milieu interplanétaire. Surligné en bleu, un sursaut de Type III, en rouge une émission de Type II et en vert un orage de Type III. Dans la partie haute de l’image, les observations proviennent de la sonde STEREO-A, dans la partie basse de STEREO-B.
Crédits : STEREO/WAVES

Les émissions de Type II et III sont donc liées à des phénomènes transitoires sur le soleil (des éruptions et/ou des éjections de masse coronale). La durée des orages de Type III suggère plutôt une origine liée à des structures plus stables. Dès les années 70, la relation entre ces émissions et la propagation d’électrons le long de lignes ouvertes de champ magnétique issues des régions actives était établie. L’étude des orages de Type III contribue ainsi à notre compréhension des relations entre le vent solaire et les structures solaires.

Les orages de Type III ont été tout d’abord étudiés à partir d’observation radio au sol. Ces travaux restaient donc concentrées sur une zone proche du soleil. Or, ces émissions sont aussi visibles jusqu’à environ 100 kHz, indiquant une propagation d’électrons jusqu’à 0.8 U.A. Si les instruments sol permettent d’étudier l’origine des orages en observant dans la couronne solaire, les sondes spatiales, en accédant aux basses fréquences, renseignent sur leurs caractéristiques dans le milieu interplanétaire. ISEE-3 a apporté une contribution majeure dans les études liées aux orages de Type III grâce à sa capacité de localisation du centre des émissions et d’obtenir ainsi une cartographie 3D des sources.

Voici les principaux résultats de ces travaux dont les références sont cités en bas de page.

I - Les caractéristiques

Les orages de type III ont été découverts par des observations du satellite RAE-1 (satellite de la NASA lancé en 1968). Les orages de Type III sont constitués de milliers de sursauts de Type III. Jusqu’à 360 sursauts par heure ont été enregistrés. Individuellement, ces sursauts sont limités en fréquence et sont de faible intensité. La durée d’un orage est de plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Le centre des émissions décroit en fréquence avec le temps.

Situé à 240 RT devant la Terre, ISEE-3 a observé les émissions radio en continu pendant 4 ans autour du maximum solaire et a ainsi mis en évidence près de 100 périodes d’orage. Les études se concentrent cependant sur l’enveloppe globale des émissions (et non sur les structures fines que constituent les sursauts individuels). Pour cela, des moyennes sur 30 minutes sont réalisées (ce qui présente aussi l’avantage de supprimer des émissions liées à des sursauts d’activité du soleil, indépendant des orages).

Même si certaines émissions peuvent durer près de 10 jours, la durée moyenne de visibilité des orages est de 5.4 jours (Fig.2). Cette durée relativement courte peut paraitre surprenante dans l’hypothèse où ces émissions sont liées aux régions actives solaires qui mettent près de deux semaines à traverser le disque solaire. Elle s’explique en fait par une directivité importante des émissions et non par une durée intrinsèque du phénomène. Des études récentes à partir d’observations conjuguées des deux sondes STEREO et de WIND ont confirmé la longue durée de vie de ces orages (Briand et al. AGU 2011). De plus, le maximum d’activité (i.e. le nombre de sursauts par heure) est observé autour du passage au méridien central solaire des régions actives.

Statistique sur la durée des orages
Statistique sur la durée des orages

Figure 2 : Histogramme de la durée (en jours) des orages observés entre la mi-août 1978 et juin 1982 par ISEE-3, à 513kHz ( 215 rayons solaire).
Crédit : Bougeret et al. 1984a

En combinant les données des deux antennes dipolaires, il est possible de retrouver l’azimut et l’élévation des émissions à chaque fréquence. Comme la fréquence indique la distance héliocentrique, une cartographie 3D de la propagation des électrons dans le milieu interplanétaire est obtenue. Grâce à cette technique de localisation des sources, les observations de ISEE-3 ont fourni les premières preuves directes sur l’origine des orages : la position des émissions (à une fréquence donnée) suit l’évolution attendue en longitude d’une région active en co-rotation avec le soleil (Fig. 3).

Passage au Méridien Central
Passage au Méridien Central

Fig3 : Evolution de la longitude des émissions radio au cours du temps pour différentes fréquences. CMP signifie : Passage au méridien central. Les pentes plus élevées autour de la longitude centrale vers les plus basses fréquences reflètent des sources plus proches de l’observateur (qui voit alors la source passer plus vite devant lui).
Crédits : Bougeret et al. 1984a

La faible dispersion des points autour du passage au méridien central indique que les électrons suivent une trajectoire bien définie, caractéristique de chaque orage. Cependant, l’exemple présenté en Figure 3 est un peu exceptionnel : d’autres observations suggèrent l’existence de multiples sources. Dans le catalogue dressé des orages de Type III observés pendant 4 ans, Kayser et al. indique le degré de complexité des orages.

Par ailleurs, la pente de la variation de l’élongation centrale de la source autour du passage au méridien centrale solaire permet de déduire la distance au soleil de la source (en supposant une rotation rigide de l’ensemble et un état stationnaire). Enfin, comme on peut s’en convaincre à partir de la figure 3, le passage au méridien central se produit plus tôt pour les hautes que pour les basses fréquences. Ceci traduit simplement l’éloignement des sources au soleil. De la position successive des sources on peut déduire leur trajectoire (Figure 4) qui se révèle être très proche d’une spirale d’Archimède décrivant la position des lignes de champ magnétique ouvertes.

Trajectoire des sources radio
Trajectoire des sources radio

Figure 4 : Trajectoire d’un orage de Type III déduit des observations radio de ISEE-3 entre le 31 mai et le 5 juin 1979. Les points sont les observations, la courbe noire est une d’Archimède décrivant la position d’une ligne de champ magnétique ouverte issue de la région active et pour une vitesse de vent solaire de 270 km.s-1.
Crédits : Bougeret et al ; 1984b

Enfin, la densité du milieu est déduite des émissions, supposées être à l’harmonique de la fréquence plasma (pour être compatible avec des mesures in situ effectuées par les sondes Helios). La dépendance de la densité avec la distance héliocentrique est plus grande que celle attendue pour une expansion radiale du vent solaire (Fig. 5). La source des orages est une zone plus dense que le vent solaire ambiant et dont la densité décroît plus vite que R-2.

Densité électronique
Densité électronique

Figure 5 : Variation de la densité électronique en fonction de la distance, densité déduite des fréquences observées en supposant une émission à l’harmonique de la fréquence plasma. On notera que la loi de décroissance est en exposant -3.01 de la distance.
Crédit : Kayser et al. 1988

II - Le modèle

Le modèle proposé pour expliquer les orages de type III est le suivant. La source globale des orages est une extension des plumes coronales, situées au-dessus des régions actives, dans le milieu interplanétaire. Ces structures sont advectées par le vent solaire et sont le siège d’accélération d’électrons. Ces électrons s’échappent en suivant les lignes de champ magnétiques ouvertes vers le milieu interplanétaire. Ce surcroit de particules supra-thermiques déstabilise localement le plasma et produit des émissions similaire aux sursauts de Type III mais de plus faible intensité. L’étroitesse des émissions individuelles suggère également une dispersion en vitesse des faisceaux d’électrons limitée.

Conclusions

Grâce à sa possibilité de localisation 3D du centre des sources radio, ISEE-3 a permis de faire un grand pas en avant dans la compréhension des orages de Type III. Le modèle proposé pour expliquer ces émissions est, trente ans plus tard, toujours d’actualité. Cette technique de localisation des sources a été largement mises au point grâce aux donnéesISEE-3 puis réutilisées avec WIND et a servi de réflexion pour être adaptées pour la mission STEREO, composé de sondes stabilisées trois axes.

Un catalogue des caractéristiques de 108 orages observés par ISEE-3 entre Septembre 1978 et Octobre 1982 a été dressé. En particulier, pour environ un tiers de ces orages, les paramètres des trajectoires ont aussi pu être déterminées.

Références

  1. Bougeret J.L., Fainberg J., & Stone R.G., 1984a, ’Interplanetary radio storms. I. Extension of solar active regions through the interplanetary medium", A&A, 136, 255-262
  2. Bougeret J.L., Fainberg J., & Stone R.G., 1984b, ’Interplanetary radio storms. II. Emission levels and solar wind speed in the range 0.05-0.8 A.U.", A&A, 141, 17-24
  3. Kayser S. E., Bougeret J.L., Fainberg J., Stones R.G., 1987, ‘Comparisons of Interplanetary Type III Storm footprints with solar features », Solar Phys, 109, 107-118
  4. Kayser S. E., Bougeret J.L., Fainberg J., Stones R.G., 1988, ‘a catalog of interplanetary type III storms », A&A Supp. Series, 73, 243-253

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