Observatoire de Paris Institut national de recherche scientifique français Univerité Pierre et Marie Curie Université Paris Diderot - Paris 7

De la radioastronomie à la physique des plasmas spatiaux : une histoire

Comment l’Observatoire s’est lancé dans l’espace...

Conférence donnée par Jean-Louis Steinberg à l’Observatoire de Meudon le 6 avril 1998.

Je vais vous raconter comment la recherche spatiale a démarré à l’Observatoire au début des années 60 et s’y est développée ensuite, comment des équipes ont appris à concevoir, construire et faire voler des instruments complexes sur des véhicules spatiaux et à extraire des résultats scientifiques des données acquises.

Il s’agit donc d’histoire, avec de petites histoires, et de science. Comme je ne veux parler que de ce que je crois comprendre le mieux, je ne vous dirai rien du satellite infra-rouge ISO, de Mars 96 ni de plusieurs autres missions importantes pour lesquelles nous avons fourni des idées et du matériel embarqué. Je me concentrerai sur le groupe "plasmas".

Mais d’abord, pourquoi aller dans l’espace ?
  • S’affranchir de l’atmosphère : Astronomie (ondes et particules)
  • S’approcher d’un objet : planète, astéroïdes, comètes
  • Mesurer dans un milieu : vent solaire
  • Observer continuellement : oscillations solaires et stellaires
  • Restituer un objet en 3-dimensions : stéréoscopie

Exemple : voir un objet (le Soleil) dans une direction totalement différente de la Terre : ce sont les missions STEREO ou hors écliptique (ULYSSE).

L’Observatoire a participé avec du matériel embarqué a des missions appartenant à ces 5 catégories.

Vers 1960, Denisse m’a suggéré d’étudier le rayonnement radio galactique aux basses fréquences, quelques mégahertz, ce qui impliquait la mise en oeuvre de moyens spatiaux. En effet, il existe dans l’atmosphère terrestre, à une altitude de quelques centaines de kilomètres, une couche appelée ionosphère où électrons et ions sont libres : c’est un plasma. Si on applique un champ électrique à un tel milieu, par exemple avec une pile et deux plaques métalliques, les électrons négatifs partent du côté positif et les ions du côté négatif. Si l’on supprime le champ extérieur, électrons et ions se mettent à osciller à une fréquence appelée fréquence de plasma qui augmente avec la densité des particules.

Equation de la fréquence de plasma
Equation de la fréquence de plasma

Les ondes radio ne peuvent se propager dans un plasma qu’aux fréquences supérieures à cette fréquence de plasma.

En conséquence, les ondes terrestres "BF" de fréquence inférieure à fp se réfléchissent sur l’ionosphère, puis sur la Terre et peuvent atteindre les antipodes. Les ondes "HF" de fréquence supérieure à fp traversent l’ionosphère et sont perdues.

Les ondes qui proviennent d’une source extraterrestre ne peuvent atteindre la Terre si leur fréquence est inférieure à fp. Il faut donc "monter" au dessus de l’ionosphère pour les recevoir.

Pour étudier le rayonnement galactique sur quelques mégahertz, il fallait observer ces ondes à au moins 500 km d’altitude à bord d’une fusée. Pour mener un tel projet, nous avions tout à apprendre. Le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES), créé en 1961, a mis à notre disposition les fusées et les moyens nécessaires. Le CNRS était incapable de créer une nouvelle équipe de chercheurs et de techniciens ; le CNES a dû la créer en engageant le personnel nécessaire sur des contrats annuels renouvelables automatiquement.

En 1962 sont alors venus constituer la première équipe : Jacques Lacroix qui avait travaillé au Service d’Aéronomie de Verrières dirigé par Blamont et connaissait les contraintes imposées aux charges utiles, Bob Manning qui avait travaillé à la Compagnie Générale de TSF sur des équipements utilisant les premiers transistors et Robert Charvin qui avait des idées sur la conception d’instruments. Il y eut aussi un mécanicien, Maurice Liepschitz , des techniciens d’électronique, Nicole Monge, Yvonne Guillou et Roger Bru.

Cette équipe conçut et réalisa les récepteurs fonctionnant sur quelques mégahertz qui ont été lancés sur des fusées françaises : missions Rubis 02 (1965) et Rubis 04 (1967), depuis la base saharienne de Hammaguir à laquelle je n’avais pas accès, étant fiché à la DST.

Tout a très bien fonctionné ; en particulier les antennes se sont bien déployées ce qui n’était pas évident. Sur Rubis 02, d’intenses parasites terrestres ont perturbé le récepteur. Mais, finalement, les données obtenues ont permis de bonnes mesures du spectre galactique sur quelques mégahertz, et surtout la mise en évidence, pour la première fois, de l’absorption dans le plan galactique. Le tout a permis à Sang Hoang de soutenir une excellente thèse d’Etat en 1972, la première soutenue sur des données spatiales acquises avec un équipement conçu à l’Observatoire. Le CNES reconnut nos jeunes compétences en nous désignant comme Laboratoire Spatial sélectionné, le premier après le Service d’Aéronomie.

Les fusées avaient atteint l’altitude de 1600 km où le plasma ionosphérique était si peu dense qu’il se comportait à peu près comme le vide aux fréquences où avaient été faites les observations radioastronomiques. Mais, plus bas, les ondes avaient dû traverser une ionosphère beaucoup plus dense où les fréquences reçues étaient beaucoup plus proches de la fréquence de plasma du milieu ambiant. Il apparut clairement que nous ne comprenions pas bien le fonctionnement des antennes dans ces conditions.

Ce que l’on veut mesurer, c’est la tension du signal VA aux bornes de l’antenne. Pour cela, on dispose d’un voltmètre, le récepteur, qui est capable de mesurer la tension VR disponible à ses bornes d’entrée. VR se transforme dans le récepteur en un signal de sortie lu sur un voltmètre classique.

Si l’on dispose d’un récepteur parfait qui mesure VR sans pomper d’énergie et si l’antenne est une source électrique idéale produisant VA, alors VR = VA et tout est simple.

Malheureusement les récepteurs ne sont pas parfaits : il faut leur fournir de l’énergie pour qu’ils mesurent VR. Et l’antenne pompe de l’énergie du signal incident et ne peut pas se comporter comme un générateur idéal en circuit ouvert. Alors le signal VA produit un courant qui circule dans la boucle ; ce courant produit une tension VR à l’entrée du récepteur. Et comme il y a des résistances dans tout le circuit, VR < VA. Pour déduire VA de VR , il faut connaître toutes les composantes du circuit. Celles de l’entrée du récepteur sont mesurées en laboratoire avant le lancement. Celles de l’antenne peuvent être calculées si l’on connaît bien la nature des signaux captés. Comme on le verra plus loin, ces signaux ne comportent pas seulement des ondes de radio.

A cette époque, l’équipe s’est enrichie de chercheurs dotés d’une solide formation théorique : André Mangeney, Pascal Meyer et Nicole Meyer. J’estimais indispensable que l’équipe comprenne les théoriciens nécessaires pour interpréter les manips et, éventuellement, ouvrir de nouvelles voies de recherche. Cette conception s’est révélée très féconde.

Pour comprendre le fonctionnement d’une antenne dans un plasma aux fréquences voisines de la fréquence de plasma du milieu, on définit le programme EIDI mené à bien en 1969-1971. On lança trois fusées Dragon depuis Mimizan plage.