Le Rayon Vert d'Éric Rohmer.
« Le film était terminé depuis le début de l'été, et Rohmer tournait déjà Reinette et Mirabelle. Cependant, il restait inachevé, faute de ce plan du rayon vert vers lequel tout le film convergeait.Et voici les explications de Rohmer lui-même, dans une interview donnée à Patrice Blouin, Stéphane Bouquet et Charles Tesson à l'occasion de la sortie de son film L'Anglaise et le duc (Cahiers du Cinéma, 2001 (juillet-août), 559, 50-58).
Aucun stock-shot n'existait, et toute solution de trucage avait été écartée d'emblée par Rohmer, qui semblait ne devoir s'y résoudre que par désespoir. La production avait lancé un, puis plusieurs opérateurs à la recherche de ce phénomène atmosphérique rare. En vain. Malgré l'insistance de la production, Rohmer ne cédait pas.
Je fus contacté sept mois après les premières tentatives, en plein hiver, et proposais les Canaries. Avec un assistant, Florent Montcouquiol, aujourd'hui chef opérateur, nous nous sommes donc installés en planque avec un vieux Caméflex au sommet d'une falaise et avons filmé un rayon vert le soir même de notre arrivée. Rohmer, incrédule, insista pour que nous restions jusqu'à l'obtention d'une seconde prise. (Ce qui nous fit dix jours de vacances radieuses).
La meilleure des deux prises cependant était peu satisfaisante: le rayon était présent sur une vingtaine d'images seulement. Nous eûmes donc recours à un passage en Truca pour le prolonger par un ralenti et à un étalonnage plus sombre et plus vert pour en augmenter l'intensité.
On ne peut pourtant pas parler d'effet spécial, car il n'y a pas eu introduction d'élément hétérogène à l'image de départ. L'effet d'étrangeté de ce plan est dû à ce ralenti et à cette différence de tonalité de l'image. »
« Le rayon vert a été très difficile à obtenir. Il a été truqué effectivement, mais pas entièrement. Un opérateur l'a cherché pendant un an sans rien trouver. On n'a pas eu de chance, parce que ce rayon vert, je l'ai vu souvent dans ma vie. Il est allé aux îles Canaries, où il a réussi à filmer un coucher de soleil où il n'y avait pas trop de nuages, mais il n'y avait pas vraiment le vert parce que le ciel n'était pas assez pur. Donc, il a fallu colorer ce petit bout de soleil, mais il correspond à la réalité. Au moment où le soleil disparaît, le dernier morceau de soleil est vert, d'un vert très intense, presque bleu. »
[Le film Du Côté d'Orouët (1969), de Jacques Rozier,
peut être considéré à plus d'un titre comme un
plagiat par anticipation du film de Rohmer. On y voit filmés
à plusieurs reprises de magnifiques couchers de Soleil, mais le Rayon
vert ne se concrétise pas.]
[Le film de Claude Lelouch Les plus belles années d'une vie
(2019) se termine également sur un rayon vert sensé
être vu à Deauville. Ce clin d'œil appuyé à
Rohmer apparaît dans les toutes dernières secondes du film, et
sera manqué par ceux qui ont l'habitude de zapper le
générique de fin.]
© 2020 Jacques Crovisier
Retour.