Institut national de recherche scientifique français Univerité Pierre et Marie Curie Université Paris Diderot - Paris 7

Une exosphère de vapeur d’eau autour de Cérès

jeudi 23 janvier 2014


Une équipe internationale, dont des chercheurs du LESIA et de l’IMCCE [1] vient de découvrir des émissions intermittentes de vapeur d’eau sur Cérès, le plus gros des astéroïdes, grâce au télescope spatial Herschel, de l’Agence spatiale européenne (ESA). Ce résultat est à paraitre dans la revue Nature du 23 janvier 2014.

Vue d'artiste de l'émission de vapeur d'eau par Cérès
Vue d’artiste de l’émission de vapeur d’eau par Cérès

© IMCCE-Observatoire de Paris / CNRS / Y. Gominet

L’astéroïde (1) Cérès, maintenant classé planète naine tout comme Pluton, fut le premier astéroïde découvert en 1801 par Piazzi. Il concentre à lui seul environ 1/5 de toute la matière comprise entre Mars et Jupiter, au sein de la ceinture d’astéroïdes.

Malgré ce rôle prédominant parmi les astéroïdes, sa composition reste très mal connue. Les caractéristiques spectrales de Cérès laissent néanmoins penser qu’il doit être composé de minéraux semblables à ceux des météorites chondrites carbonées qui sont parmi les plus primitives connues.

Depuis la fin des années 1970, la question de la présence de glace sur ou dans Cérès est fortement débattue. D’un côté les défendeurs de la présence de calottes polaires ou de glace en sous-sol s’appuient sur une signature spectrale dans le proche infrarouge potentiellement indicative de glace, ainsi que sur une détection marginale du radical OH, produit de photodissociation de l’eau, autour de Cérès en 1992. Diverses structures internes sont envisagées, et la présence de larges poches de glace ou même d’un océan interne est jugée possible.

Les détracteurs soulignent quant à eux le lien possible entre la-dite signature spectrale et certains minéraux rendant très incertaine la présence de glace, surtout qu’à la distance du Soleil où orbite Cérès la glace d’eau n’est pas stable et se sublime très rapidement. D’autre part, la détection de 1992 n’avait jamais pu être confirmée, semant le doute sur sa véracité, malgré divers essais incluant le Very Large Télescope (VLT) de l’observatoire européen austral (ESO).

Cette question a pourtant de fortes implications sur notre conception générale de l’origine de l’eau dans le système solaire. La vue traditionnelle sépare en effet le système solaire primitif en une partie "sèche" s’étendant jusqu’à la ceinture principale des astéroïdes et une riche en glace au delà.

Figure 2
Figure 2

Spectres de la raie à 557 GHz de la vapeur d’eau observés à différentes dates par l’instrument HIFI du télescope spatial Herschel. La raie est observée en absorption devant le continuum thermique de Cérès.

Ainsi, une équipe d’astronomes de l’agence spatiale européenne (ESA) et de l’Observatoire de Paris (LESIA et IMCCE) ont utilisé le télescope spatial européen Herschel pour étudier la présence d’eau sur Cérès [2]. Après une observation négative en 2011, ils ont clairement détecté la présence d’eau sous forme gazeuse autour de Cérès à plusieurs reprises en 2012 et 2013, mettant fin à la controverse. L’activité de Cérès semble liée à la variation de sa distance au Soleil au long de son orbite, à l’instar des comètes.

Cérès réservait toutefois une autre surprise. La première analyse des données prises par le télescope Herschel montrait des résultats incohérents. Aidés par la connaissance de la surface de Cérès, cartographiée quelques années auparavant par le télescope spatial Hubble, le W. M. Keck à Hawaï, et le VLT, les astronomes ont pu déterminer que l’eau était éjectées par deux sources bien localisées à la surface de Cérès, à la manière de deux geysers géants. En utilisant un modèle de jet cométaire développé au LESIA, ils ont pu montrer que la quantité d’eau émise par chacune des sources est de l’ordre de 6 kg/s, ce qui correspondrait à une surface de glace exposée au soleil de 0,7 km2.

Si l’émission de vapeur d’eau de Cérès s’explique facilement par un comportement cométaire, la question de l’origine de cette eau reste ouverte. Cette planète naine serait composée d’un noyau solide de silicates recouvert d’un manteau de glace de 50 km d’épaisseur, ce manteau étant recouvert d’une croute de surface de quelques dizaines de mètre. Cette vapeur d’eau pourrait provenir de la couche de glace mise à nue par des impacts, ou bien pourrait tracer la présence de geysers. La sonde Dawn de la NASA lancée en 2007 est actuellement en route vers Cérès après avoir étudié l’astéroïde (4) Vesta en 2011. Les images et spectres à haute résolution de la surface de Cérès nous permettront de mieux comprendre l’origine de cette vapeur d’eau.


Figure 3
Figure 3

Intensité, en raie sur continu, de la raie de l’eau le 6 mars 2013, en fonction de la longitude du point sub-terrestre. L’intensité est maximale aux longitudes des régions sombres Piazzi et Région A, suggérant que l’eau est émise depuis ces régions. La courbe en bleu est un modèle qui suppose que ces sources émettent 6 kg d’eau par seconde.

Référence

  • Localised sources of water vapour on dwarf planet (1) Ceres Michael Küppers, Laurence O’Rourke, Dominique Bockelée-Morvan, Vladimir Zakharov, Seungwon Lee, Paul von Allmen, Benoît Carry, David Teyssier, Anthony Marston, Thomas Müller, Jacques Crovisier, M. Antonietta Barucci, Raphaël Moreno, Nature, 23 janvier 2014.

Contact

Notes

[1(Observatoire de Paris/CNRS/Université Pierre et Marie Curie/Université Lille 1)

[2Ces observations font partie des programmes MACH-11 (Temps garanti Herschel, PI. L. O’Rourke, ESAC) et d’un DDT (Temps discrétionnaire du directeur, PI. Kueppers, ESAC). MACH-11 ("Measurements of 11 Asteroids and Comets with Herschel") est un programme d’observation des 11 astéroïdes et comètes qui ont ou vont être visités par des sondes spatiales. Les cibles des missions Rosetta, Deep impact, Hayabusa 2, Marco-Polo R, OSIRIS-Rex et Dawn ont ainsi été observées.