Institut national de recherche scientifique français Univerité Pierre et Marie Curie Université Paris Diderot - Paris 7

Les mystérieux « hollows » de Mercure

jeudi 6 avril 2023

Grande inconnue du Système solaire, Mercure, par le fait même des contraintes technologiques dues à sa proximité avec le Soleil, n’a été à ce jour que très peu étudiée. Deux missions, Mariner 10 et MESSENGER, ont permis de découvrir des formations singulières qualifiées de « hollows », creux ou trous en français. Uniques dans le Système solaire, elles présentent des propriétés particulières et une répartition originale sur la planète. Les chercheurs supposent qu’elles sont le résultat de la sublimation de composés volatils, probablement des sulfures. Une équipe impliquant deux chercheurs du LESIA vient de publier un article exposant ces résultats dans la revue en ligne Science Advances.

La découverte des hollows de Mercure

Mariner 10, la première mission lancée par la NASA vers Mercure en novembre 1973, a permis d’identifier des dépôts brillants dans certains de ses cratères (Figure 1a). En 2004, c’est la mission MESSENGER (MErcury Surface, Space ENvironment, GEochemistry and Ranging) [1] qui décolle à son tour vers cette planète pour en poursuivre l’étude jusqu’en 2015. Grâce aux observations à haute résolution spatiale et en différentes couleurs de la caméra MDIS (Mercury Dual Imaging System) embarquée à son bord, les propriétés (âge, texture, morphologie…) de ces dépôts ont pu être identifiées (Robinson et al., 2008 ; Blewett et al., 2009) (Figure 1b). Les images qu’elle a fournies, ont permis de confirmer que ces dépôts brillants, appelés par l’équipe de MESSENGER « Bright crater floor deposits » [2] sont bien différents des autres unités géologiques de Mercure.

Ces prises de vues à haute résolution spatiale ont permis de révéler des structures presque trois fois plus petites que celles mises en évidence par Mariner 10. C’est le cas par exemple d’une vue du cratère d’impact Hopper (ci-dessous) dont la résolution a permis de révéler que ces dépôts sont en réalité constitués de plusieurs petites dépressions regroupées sur le fond de celui-ci (Figure 1c). Ces dépressions ont été nommées « hollows » par l’équipe scientifique de MESSENGER, ce qui signifie « trous », « cavités », ou « creux » en français. Leurs dimensions varient de quelques dizaines de mètres à quelques kilomètres. Ils présentent des fonds plats, des parois avec des pentes raides, une profondeur de quelques dizaines de mètres, n’ont pas de rebords et sont entourés par un halo brillant.

Hollows du cratère Hopper
Hollows du cratère Hopper

Figure 1 : trois images du cratère Hopper (12.4°S - 55.9°W) obtenues par la sonde Mariner 10 pour la première (image (a) environ 600 m/pixel) et la mission MESSENGER pour les deux autres grâce à sa caméra multispectrale (image (b) 202 m/pixel) et à sa caméra monochrome (image (c) 26 m/pixel).
Crédit : Solomon, S.C. ; Nittler, L.R. & Anderson, B.J. (Eds.), (2018). Mercury : The view after MESSENGER (Vol. 21). Cambridge University Press.

Jamais des unités géologiques identiques aux hollows n’ont été observées sur d’autres corps telluriques du Système solaire. Cependant, des structures similaires ont été identifiées dans la calotte polaire sud de Mars et à la surface de satellites glacés tels que Callisto, Europe et Ganymède. Ces structures de glace se forment probablement par retrait d’escarpement - leur croissance est donc horizontale - causé par la sublimation d’un « composé volatil ».

En planétologie, le terme « composé volatil » est utilisé pour définir des éléments ou composés chimiques qui ont un point d’ébullition relativement bas. Ils ont donc tendance à se sublimer (passage de l’état solide à l’état gazeux) ou se vaporiser (passage de l’état liquide à l’état gazeux) relativement facilement tels l’hydrogène, le sodium, le potassium, le souffre, le chlore…

La ressemblance entre les hollows et les structures rencontrées sur des surfaces glacées suggèrent qu’ils sont formés par la perte d’un ou de plusieurs composés volatils. Elle serait favorisée par une forte température de surface ou une plus forte exposition au rayonnement solaire au niveau de l’orbite de Mercure. Cependant, la nature de ce ou ces composés volatils reste encore inconnue bien que de nouveaux arguments penchent en faveur de minéraux constitués de souffre : des sulfures.

Les hollows vus par MESSENGER

La sonde MESSENGER, en orbite autour de Mercure entre 2011 et 2015, était équipée de plusieurs instruments dédiés à l’étude de sa surface. Bien que les observations n’aient pas permis d’identifier les minéraux qui constituent les roches à la surface de Mercure, la composition chimique de la surface a pu être établie. Les scientifiques ont découvert qu’elle était riche en composés volatils (souffre, carbone, chlore…) et pauvre en fer et en titane. Ce résultat est surprenant car, à la distance qui sépare Mercure du Soleil, les modèles de formation planétaire prédisent un environnement riche en éléments lourds (métaux) mais appauvri en composés volatils.

Ainsi, depuis 2011, les chercheurs continuent-ils d’analyser les données de la sonde MESSENGER afin de mieux comprendre ces mystérieux hollows et d’identifier le composé volatil à l’origine de leur formation. Les images de la surface de Mercure ont permis de montrer que les hollows sont principalement associés aux structures d’impacts de météorites.

On retrouve également les hollows dans ou à proximité d’un matériel sombre appelé « Low reflectance material » [3] (Figure 2), probablement composé de graphite, l’une des formes cristallines du carbone. Les hollows sont aussi souvent associés aux dépôts volcaniques de type explosif (volcanisme riche en gaz et donc en éléments volatils). À l’inverse, ils sont très peu retrouvés dans les dépôts volcaniques de type effusif : de grandes coulées de lave qui se sont consolidées à la surface à la suite d’éruptions volcaniques et qui constituent les grandes plaines lisses du nord de Mercure. (Figure 2).

Distribution spatiale des hollows à la surface de Mercure
Distribution spatiale des hollows à la surface de Mercure

Figure 2 : Distribution spatiale des hollows a la surface de Mercure. Les points verts sont les hollows associés à des matériaux sombres (ex : Low Reflectance material). Les points jaunes sont les hollows qui ne sont pas associés à des matériaux sombres. Les couleurs violettes et orangées correspondent aux matériaux sombres. On remarque la rareté des hollows dans les plaines lisses du nord apparaissant en gris clair sur cette carte.
Crédits : Solomon, S.C ; Nittler, L.R. & Anderson, B.J. (Eds.). (2018). Mercury : The view after MESSENGER (Vol. 21). Cambridge University Press.

À partir de toutes ces observations, plusieurs hypothèses relatives à la nature de ces mystérieux composés volatils ont pu être émises par les chercheurs :

  • la surface de Mercure est riche en souffre et en chlore. Il peut donc s’agir de minéraux constitués de ces éléments tels que les sulfures (ex : CaS, FeS, TiS…) et les chlorures (ex CaCl2, MgCl2) ;
  • puisqu’on note une proximité spatiale entre les hollows et les matériaux sombres, le composé volatil pourrait tout aussi bien être du graphite ;
  • les hollows se forment dans les roches constituant la croûte de Mercure. Il est donc également possible d’envisager les minéraux silicatés puisqu’ils constituent les croûtes des planètes telluriques.

Les chercheurs du LESIA se sont penchés sur ces questions pour tenter de déterminer laquelle de ces hypothèses était la plus probable.

Les récents résultats sur les hollows

Dans la présente étude qui vient d’être publiée dans Science Advances, un groupe de 3 chercheurs dont deux du LESIA, Observatoire de Paris – PSL, Alain Doressoundiram, astronome, et Océane Barraud, alors en thèse au LESIA, apportent de nouveaux arguments sur les composés volatils des hollows et leur relation avec les autres unités géologiques.

Pour cela, ils ont tiré parti des observations de l’instrument MASCS (Mercury Atmospheric and Surface Composition Spectrometer), qui n’avait jusque-là jamais été utilisé pour l’étude des hollows. Durant sa thèse au LESIA, Océane Barraud a trouvé, parmi les 4 360 714 observations du spectromètre MASCS, des hollows situés dans 4 cratères d’impact observés par l’instrument (Figure 3). À partir de ces premières observations, une étude (Barraud et al., 2020) a montré que les hollows de Mercure présentent des propriétés spectrales uniques qui les différencient des autres unités géologiques.

Images de groupes de hollows pris par la camera MDIS
Images de groupes de hollows pris par la camera MDIS

Figure 3 : Images de la caméra MDIS montrant les groupes de hollows étudiés avec l’instrument MASCS dans les quatre cratères d’impact : Tyagaraja (a, b), Hopper (c,d), Eminescu (e,f) et Warhol (g,h).
Crédits : Barraud et al., (2020).

Spectres moyens obtenus dans les 4 hollows étudiés
Spectres moyens obtenus dans les 4 hollows étudiés

Figure 4 : Spectres moyens obtenus dans les quatre hollows présentés figure 3 avec l’instrument MASCS (violet). Les spectres d’autres unités géologiques sont également représentés : matériaux sombres (rouge et vert), grandes plaines volcaniques du nord (bleu), dépôts pyroclastiques (orange) ainsi que le spectre moyen de Mercure en pointillé noir. On remarque que le spectre des hollows se différencie par une forte courbure entre 300 et 600 nm.
Crédit : Barraud et al., (2020).

Dans cette récente publication parue le 24 mars 2023, les observations de l’instrument MASCS ont été comparées à des mesures de laboratoires. Elles ont été faites sur les matériaux potentiellement responsables de la formation des hollows : sulfures, chlorures, silicates et graphite. Les résultats ont montré que les meilleures espèces volatiles pour reproduire les propriétés des hollows sont les sulfures et, plus particulièrement, les sulfures de calcium, magnésium et sodium. Ce résultat apporte donc un argument supplémentaire en faveur de ces espèces. Le graphite peut, quant à lui, être éliminé des espèces volatiles responsables des propriétés spectrales des hollows.

De plus l’étude a montré que la concentration en sulfures dans les plaines volcaniques de Mercure était nettement inférieure à celle des hollows. Ce résultat met en évidence que le sulfure n’y est pas assez abondant pour conduire à leur formation. Elle apporte donc une première explication à l’absence de hollows constatée dans ces régions.

De futures observations avec BepiColombo

La mission BepiColombo sera la troisième sonde spatiale à côtoyer Mercure après Mariner 10 et MESSENGER. Elle est issue d’une collaboration entre l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et l’Agence d’Exploration Aérospatiale Japonaise (JAXA). Elle est ainsi nommée en hommage au mathématicien italien Giuseppe Colombo (1920-1984), surnommé « Bepi », connu pour ses recherches sur Mercure. La mission a pris son envol le 20 octobre 2018, grâce au lanceur Ariane 5, depuis le centre spatial guyanais de l’ESA, à Kourou.

Parmi les nombreux objectifs attendus de BepiColombo les chercheurs espèrent parvenir à mieux comprendre les hollows : définir leur composition, la source de leurs éléments volatils, leur lien avec les autres unités géologiques et leur processus de formation. La sonde se mettra en orbite autour de Mercure fin 2025. Ses investigations scientifiques devraient durer quatre ans au moins. Prochaine échéance : le survol de Mercure le 20 juin 2023.

Le LESIA est directement impliqué dans la mission BepiColombo par sa contribution à la suite d’instruments SIMBIO-SYS. Cette suite instrumentale est issue d’un consortium italo-français. Elle est composée de VIHI (Visual and Infrared Hyper-spectral Imager), un imageur hyperspectral infrarouge ; HRIC (High Spatial Resolution Imaging Channel) un imageur multispectral à très haute résolution spatiale et d’une caméra stéréo STC (STereo Channel) dédiés à l’étude de la surface de Mercure. Alain Doressoundiram, astronome au LESIA en est l’un des Co-PI, responsable de la contribution de notre laboratoire à l’instrument SIMBIO-SYS. Le LESIA a notamment livré le plan focal du spectromètre VIHI. L’objectif est de faire la cartographie minéralogique complète de la planète avec une résolution spatiale < 500 m et une résolution spectrale < 10 nm.

Grâce à BepiColombo, de belles découvertes en perspective pour le LESIA. Enfin également, une meilleure connaissance de Mercure car, comme nous le mentionnions au début de cet article, elle demeure encore la planète la moins bien connue du Système solaire !

Contacts LESIA

Océane Barraud
Alain Doressoundiram

Pour aller plus loin

Site grand public sur Mercure et la mission BepiColombo, offrant des affiches, jeu et activités pour les classes

La page sur l’instrument VIHI (sur le site du LESIA), instrument conçu en partie au LESIA

Le site du CNES

Le site de l’ESA (en anglais)

Notes

[1Surface, environnement spatial, géochimie et télémétrie de Mercure.

[2Dépôts brillants en fond de cratère.

[3Matériel de faible réflectance, sombre.