Observatoire de Paris Institut national de recherche scientifique français Univerité Pierre et Marie Curie Université Paris Diderot - Paris 7

Le second atterrissage de Philae dévoile de la glace d’eau primitive en profondeur

mercredi 28 octobre 2020

Quatre chercheurs du LESIA de l’Observatoire de Paris – PSL et leurs partenaires français et étrangers, ont identifié le deuxième site d’atterrissage de Philae à seulement 30 m du site Abydos, où Philae a fini sa course. Philae a passé 2 minutes sur ce site, un ensemble de rochers dont la forme rappelle celle d’un crâne. Ses multiples contacts avec la surface ont produit des changements morphologiques, dévoilant de la glace d’eau primordiale. Les analyses ont permis de déterminer la dureté du site, plus faible que celle de la neige, et de mesurer la porosité des rochers, qui s’avère très élevée (75%).

Cinq ans après la fin de la mission Rosetta de l’Agence Spatiale Européenne, un travail de détective combinant les données de plusieurs instruments à bord de l’atterrisseur Philae et de Rosetta a permis d’identifier le deuxième site d’atterrissage de Philae sur la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko.

Largué le 12 novembre 2014, Philae a bien atterri sur le site initialement prévu, Agilkia, mais il n’a pas pu s’y ancrer à cause d’une défaillance de ses harpons. L’atterrisseur a donc rebondi et a commencé ainsi un aventureux vol d’une durée de deux heures au-dessus de la comète, survolant la dépression Hatmehit sur le dessus du petit lobe de la comète avant de heurter le bord d’une falaise (Fig. 1). Ce choc l’a projeté vers un deuxième site d’atterrissage, identifié dans cette étude, où il est resté 2 minutes avant de rebondir une dernière fois pour enfin arrêter sa trajectoire sur le site Abydos (Fig. 1), un lieu abrité et mal illuminé par le Soleil, où Philae a été clairement identifié le 2 septembre 2016, quelques semaines seulement avant la fin de la mission Rosetta.

Figure 1 : Contexte des sites d'atterrissage de Philae sur la comète (...)
Figure 1 : Contexte des sites d’atterrissage de Philae sur la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko le 12 novembre 2014

Philae a fait 3 atterrissages sur la comète : le 1er à 15h35 TU sur le site Agilkia ; l’image montrée à cet endroit a été prise par la caméra de Philae, ROLIS, avant l’atterrissage, à environ 40 mètres de la surface ; Philae a ensuite survolé la dépression Hatmehit sur le dessus du petit lobe de la comète avant de heurter le bord d’une falaise à 16h20 TU ; le 2e atterrissage s’est produit à 17h24 TU sur un ensemble de rochers dont la forme ressemble à celle d’une crâne, où Philae est resté 2 minutes ; le 3e et dernier sur Abydos à 17h31 TU. L’image a été retouchée pour mieux faire apparaître Philae, qui se cache dans l’ombre à seulement 30 mètres du second site d’atterrissage.
Crédits images : Atterrissage No1 : ESA/Rosetta/Philae/ROLIS/DLR ; toutes les autres images : ESA/Rosetta/MPS pour l’équipe OSIRIS MPS/UPD/LAM/IAA/SSO/INTA/UPM/DASP/IDA.

Le deuxième site d’atterrissage a une forme qui rappelle celle d’un crâne (voir vidéo 1 ci-dessous). Il a été identifié après un minutieux travail de reconstruction de la trajectoire de Philae. C’est grâce aux magnétomètres ROMAP, dont la perche de 48 cm a percuté le terrain, que le début et la durée de cet atterrissage (2 minutes) ont été établis.

ROMAP a aussi permis de déterminer que Philae ne s’est pas simplement posé, mais qu’il s’est enfoncé d’environ 25 cm dans le sol (voir vidéo 2 ci-dessous), sur une crevasse, produisant des changements morphologiques locaux identifiés en comparant les images à haute résolution spatiale du système d’imagerie OSIRIS prises avant et après l’atterrissage. Le contact de Philae a soulevé la poussière sombre qui couvre la surface, et exposé de la matière enfouie, bien plus primitive, 6 à 8 fois plus brillante que la comète. L’analyse des données et des images d’OSIRIS et du spectromètre VIRTIS de Rosetta a révélé que la zone brillante était de la glace d’eau fraichement exposée couvrant une surface d’environ 3,5 mètres carrés.

L’équipe du LESIA a travaillé en particulier sur l’identification et la composition de la matière sous-surfacique exposée par Philae, et trouvé que l’abondance de la glace d’eau est de 46%, une valeur parmi les plus élevées mesurées sur la surface de la comète. Le rapport massique roches/glace de 2,3 qui en a été déduit est similaire aux valeurs obtenues sur de la glace fraichement exposée suite à l’effondrement d’une falaise sur le site Aswan, alors que la valeur globale pour le noyau de la comète est supérieure à 3.

Figure 2
Figure 2

A gauche : Images prise par la caméra NAC d’OSIRIS le 14 juin 2016 à 10:29 UT montrant la glace d’eau brillante sur le 2e site d’atterrissage. Les images en bas montrent une vue en couleur (à gauche), et une image avec les symboles (étoile rouge pour la surface brillante, cercle noir pour le terrain sombre de la comète) utilisés pour le graphique de droite. A droite : albédo mesuré pour la surface brillante avec le modèle de composition (ligne pointillée) indiquant une abondance en glace d’eau de 46%).
Crédit : O’Rourke et al., 2020, Nature

Le simple fait que Philae ait laissé son empreinte sur la paroi d’une crevasse a permis de mesurer in-situ différentes propriétés physiques :
a) une composition sous-surfacique riche en glace d’eau ;
b) la force de résistance à la compression de ce mélange de glace et de poussières vieux de plusieurs milliards d’année est extraordinairement faible (< 12 Pascals), c’est-à-dire cette matière a une consistance plus légère que celle de la neige fraîchement tombée ;
c) la porosité locale est de 75%.

Ces résultats sur la composition, la dureté et la porosité sont très importants non seulement pour comprendre la nature de la comète 67P, mais également pour la conception des futures missions destinées à l’étude in-situ des comètes, et à leur échantillonnage.

Contacts LESIA

  • Dominique BOCKELÉE-MORVAN, LESIA -Observatoire de Paris-PSL, CNRS.
  • Nicolas BIVER, LESIA -Observatoire de Paris-PSL, CNRS.

Notes

L’étude “The Philae lander reveals low-strength primitive ice inside cometary boulders”, par O’Rourke L., Heinisch P., Blum J., Fornasier S., Filacchione G., et al. est est parue dans la revue Nature le 28 octobre 2020.
Publication en ligne à l’adresse suivante : https://www.nature.com/nature/volumes/586/issues/7831

Vidéos

Vidéo 1

Contexte du site d’atterrissage n°2, dont les rochers ont une forme qui ressemble à celle d’un crâne, et reconstitution de la trajectoire de Philae
Crédits : Images : ESA/Rosetta/MPS pour l’équipe OSIRIS MPS/UPD/LAM/IAA/SSO/INTA/UPM/DASP/IDA ; Analyse : O’Rourke et al (2020)

Vidéo 2

Cette animation montre comment l’atterrisseur de Rosetta, Philae, s’est déplacé sur le site d’atterrissage No 2 sur la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko le 12 novembre 2014. Le tracé de données est annoté de cinq événements distincts qui correspondent aux images. Alors qu’il se déplaçait vers le bas, Philae glisse sur le bord d’un rocher (1) et se retourne verticalement, tournant comme un moulin à vent pour passer entre deux rochers (2) et exposant ainsi avec ses pieds des couches de glace dans les parois de la crevasse. Un mur de poussière est créé par l’effet de moulin à vent, et celui-ci déplace la poussière qui s’était accumulée entre les rochers jusqu’à cet instant. La crevasse incurvée mesure environ 2,5 mètres de long et entre 1 et 1,5 mètre de large, ce qui permet à Philae de passer à travers. Philae laisse alors une empreinte de 25 centimètres de sa face supérieure dans la surface de la comète (3) ; un trou fait par le haut de l’instrument de forage SD2 (Sampling, Drilling and Distribution) qui dépasse du dessus de Philae est reconnaissable. Philae est ensuite sorti de la crevasse en faisant tomber des matériaux d’un surplomb (4a) — ce qui le repousse vers le bas — avant de créer avec sa face supérieure une empreinte dans la poussière qui correspond à « l’œil » de la zone qui ressemble à un crâne (4b).
Crédits : Image : ESA/Rosetta/MPS pour l’équipe OSIRIS MPS/UPD/LAM/IAA/SSO/INTA/UPM/DASP/IDA ; Données : ESA/Rosetta/Philae/ROMAP ; Analyse : O’Rourke et al (2020)