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Jean-Michel Réess et l’aventure de MIRI, « l’œil » du JWST

lundi 3 janvier 2022

Au terme de plus de deux décennies de mises au point et quelques retards, c’est le 25 décembre 2021 qu’a été lancé le JWST (James Webb Space Telescope), depuis le centre spatial de Kourou, en Guyane. Successeur d’Hubble et fruit d’une collaboration entre les agences spatiales américaine (NASA), européenne (ESA) et canadienne (CSA), il va permettre d’observer l’Univers, plus loin et donc plus tôt, jusqu’à rendre possible l’étude des premières étoiles et galaxies. Il emporte à son bord l’instrument MIRI (Mid-Infrared Instrument), en partie développé au LESIA sous la direction de Jean-Michel Réess. C’est tout à la fois son parcours et l’histoire de cet instrument qu’il nous relate à présent.

Jean-Michel Réess
Jean-Michel Réess

Originaire de Pau et fils d’ingénieur, c’est tout naturellement qu’il a choisi un baccalauréat scientifique et, comme il le précise en souriant, « suivi la voie familiale ». Enfant déjà, il possédait un petit télescope et aimait à se plonger dans la lecture d’ouvrages sur les étoiles. Mais ça n’est que bien plus tard que sa vocation allait se préciser.

Ses études universitaires lui ont permis de se former en mathématiques, physique et informatique et de suivre, en parallèle, une préparation aux écoles d’ingénieurs. Au cours de ce premier cycle d’études supérieures, il découvre l’optique et se passionne pour cette matière. En fin de maîtrise, il dépose des dossiers de candidature dans différentes écoles et réussit à intégrer, sur titre et directement en deuxième année, la formation de son choix : l’École supérieur d’optique ou, sous sa nouvelle appellation, l’Institut d’optique Graduate School à Orsay puis Palaiseau. En trois ans, cette école prépare les étudiants aux métiers de l’optique.

C’est par le plus pur des hasards qu’il va mettre un pied à l’Observatoire pour un stage d’ingénieur de deux mois au cours duquel il réalise le design d’une caméra pour une expérience. Mais ça n’est là qu’un premier pas ! Une fois diplômé, il part en stage pour 6 mois à Londres. Son orientation vers l’astronomie devient alors effective : on lui confie la mission de corriger les images, prises par des satellites, des effets de turbulences atmosphériques. Puis il effectue un service civil de deux ans en Nouvelle-Calédonie.

À son retour en 1994, il postule sur une fonction CDD d’opticien au DESPA (Département Spatial), l’ancêtre du LESIA. Il s’agit de remplacer un homologue qui effectuait une mutation vers un autre laboratoire et de pérenniser ce poste. Retour donc à ses passions initiales : le voilà lancé en astronomie et officiellement ingénieur opticien ! Sa première réalisation sera de terminer le design de l’instrument OMEGA pour la mission Mars Express et, en parallèle, de travailler sur l’instrument VIRTIS pour la sonde Rosetta. Ces deux instruments sont des spectromètres infrarouges dont la réalisation va l’occuper pendant une dizaine d’années, jusqu’en 2004 donc. Ils ont pour objectif de décomposer la lumière et d’en analyser le spectre. L’analyse des raies spectrales a permis en 2014, lors du survol de la comète Tchourioumov-Guerassimenko, d’identifier les différents composants de ce corps céleste et d’en déterminer la composition physico-chimique. Lors de ce type de mission, l’ingénieur opticien intervient pendant la phase de conception et peut être remis à contribution pendant celle de réception et d’analyse des données pour vérifier l’état de performance de l’instrument et la conformité des données. C’est donc un investissement à long terme et, en pointillé, sur de plus longues périodes encore.

Le concept de VIRTIS a été repris pour la mission Venus Express qui a été lancée en 2006 pour observer Venus. Il s’est avéré performant pour cette mission également. Au cours de cette période, Jean-Michel Réess a également travaillé sur de l’instrumentation au sol dont l’interféromètre de première lumière VINCI pour le VLT et un autre pour le site de Hawaï. Ces interféromètres servent à valider toute la chaîne optique et instrumentale des télescopes. C’est là ce qu’il qualifie de « parcours d’opticien de base » : faire du design optique et des concepts instrumentaux pour ces instruments. Mais il n’allait pas en rester là !

C’est en 2005 qu’a démarré le projet MIRI sur le JWST, télescope de très grand diamètre (6,50m) dans l’infrarouge. Le LESIA disposait d’une équipe spécialisée dans la coronographie d’étoiles et pouvait répondre aux appels d’offre pour venir mettre des instruments au foyer de ce télescope. Une équipe plus large s’est alors montée avec le CEA et l’observatoire d’Edinburgh sous la direction scientifique de Gillian Wright. Elle a abouti à la conception de MIRI qui est composé de deux parties principales : un imageur photomètre et un spectromètre qui permet d’étudier la lumière reçue en fonction de sa longueur d’onde. MIRI est également équipé de 4 coronographes dont un classique dit de Lyot et trois à « masque de phase » ou « à quatre quadrants » très performants. Mis au point au LESIA par l’équipe de Daniel Rouan, ces coronographes de « nouvelle génération » permettent, en quelque sorte, « d’éteindre l’étoile » pour voir l’exoplanète qui est à côté.

Jean-Michel Réess a été nommé chef de ce projet. Il a alors constitué autour de lui une petite équipe technique d’une dizaine de personnes. Puis il a supervisé la gestion de ce projet novateur tout en assurant le design optique du système en collaboration avec le CEA, responsable de MIRI. Il s’agissait de réaliser un instrument tout à la fois complexe et totalement novateur en matière de coronographie. Cette réalisation, comme elle faisait appel à des techniques nouvelles, a induit une longue phase préalable d’études et de tests pour démontrer, dans un premier temps, qu’elle fonctionnait puis que l’on parvenait à « obtenir le contraste » attendu. Elle s’est terminée par la réalisation du coronographe dans un matériau transparent à l’infrarouge, le germanium, et de son barillet dans l’atelier du LESIA. Le but était d’évaluer jusqu’à quel niveau on parvenait à « éteindre l’étoile » par rapport à la planète qui tourne autour, dans un contexte de compétition entre les équipes pour réaliser le meilleur contraste au monde.

À un moment donné, l’équipe technique et scientifique du LESIA a d’ailleurs battu ce record du monde dans certaines conditions de contraste et dans un contexte plus général de R&D. Un beau succès pour notre laboratoire donc ! Le tout dans une ambiance très stimulante, en particulier avec l’importante équipe du CEA dans laquelle s’intégrait celle, plus petite mais non moins essentielle, du LESIA. Au terme de cette longue procédure, le coronographe a été installé au foyer du télescope dont il reçoit directement la lumière. Puis a suivi une phase ultime de tests, certaines interfaces étant très complexes à gérer. Cet instrument a été livré en 2009 dans de fortes contraintes de temps imposées par l’ESA car le lancement était initialement prévu autour de 2013, après le montage du miroir et différents tests, du JWST cette fois. C’est donc en 2009 que s’est terminée la phase de conception au LESIA.

Depuis cette livraison, le projet de télescope JWST a pris énormément de retard du fait de sa complexité, de sa taille et des difficultés liées au déploiement du miroir primaire de 6,50m. En effet, il est constitué de structures en pétales repliés qui doivent être ajustés à la fraction de micron près pour assurer une qualité optimale sur le coronographe. À cela est venu s’ajouter, une fois de plus, la complexité des tests, entre 2012 et 2017, au Goddard Space Center près de Washington. Puis en 2017, le JWST a été envoyé à Houston, dans la plus grande chambre de test au monde, qui reproduit les conditions de vide spatial. Celle du Goddard n’était pas assez grande pour l’accueillir. Mais même dans ces conditions, seuls ont pu être testés les miroirs et les instruments. Aucune chambre de test ne peut contenir le JWST déplié. Il faut se représenter que le bouclier thermique, à lui seul, fait la taille d’un terrain de tennis ! Donc si l’on prend en compte tous ces éléments, les retards ont effectivement été importants, de même que les dérives budgétaires, mais pas tellement surprenants pour un projet d’une telle envergure.

Alors, que va-t-il se passer maintenant ? Car le JWST n’est pas encore au bout de son aventure, loin de là ! C’est d’abord un périple de 30 jours qui l’attend pour se positionner au point de Lagrange L2, à 1,5 millions de kilomètres de la Terre, un point tout à la fois suffisamment stable et froid pour offrir des conditions optimales d’observation. Au cours de ce voyage et dans les 15 premiers jours, ce sont successivement le bouclier solaire puis les miroirs primaires et secondaires qui seront déployés. Puis, pendant 25 jours, entre le 15e et le 40e jour, les systèmes seront démarrés et testés. Entre 40 et 80 jours, le miroir sera testé et aligné. Ça n’est qu’au bout de 6 mois, soit en juin 2022 que l’exploitation du JWST pourra commencer et que les premières images pourront être analysées.

Que peut-on attendre du JWST et, partant, de l’instrument MIRI ? Globalement, de répondre à la question de la formation des premières galaxies et des premières étoiles, des planètes et des exoplanètes et à celle de la composition de leurs atmosphères. En quelques mots, une observation de « l’Univers jeune ». MIRI qui observe dans l’infrarouge moyen entre 5 et 28 micromètres devrait permettre de caractériser les atmosphères des exoplanètes. Les spectres analysés permettront d’obtenir des informations sur la température effective, la composition moléculaire ou la présence de nuages. Il sera également possible de détecter aussi bien des géantes gazeuses que de petites planètes rocheuses et, peut-être, d’étudier les conditions d’habitabilité de ces nouveaux mondes. Un grand pas donc pour l’astronomie et l’astrophysique.

Retour au LESIA ! Que va-t-il se passer pendant cette période ? Il est peu probable que l’équipe technique qui était pilotée par Jean-Michel Réess soit de nouveau mise à contribution sauf à rencontrer un problème sur l’optique ou les filtres ce qui n’est pas à souhaiter. En revanche, l’équipe scientifique sera sollicitée autour de Pierre Baudoz, Anthony Boccaletti et Daniel Rouan pour « faire de la science » autour des images recueillies par MIRI et le JWST. Encore de belles pages à écrire, sans doute, pour notre laboratoire !


Les coronographes de l'instrument MIRI réalisés au LESIA
Les coronographes de l’instrument MIRI réalisés au LESIA

L'instrument MIRI
L’instrument MIRI

Les coronographes sont visibles à gauche, à proximité de l’entrée optique de l’instrument.


Banc de test monté pour tester les coronographes de l'instrument MIRI à (...)
Banc de test monté pour tester les coronographes de l’instrument MIRI à froid
Portrait rédigé par Luc Heintze

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