Images de la Physique 2000



LES COMÈTES HYAKUTAKE ET HALE-BOPP : LA MÉMOIRE DE L'ORIGINE DU SYSTÈME SOLAIRE


ARPEGES, UMR 8644, Observatoire de Paris, 92195 Meudon


Article proposé par:

Dominique Bockelée-Morvan, Tél. 01 45 07 76 05,
E-mail : Dominique.Bockelee@obspm.fr

Jacques Crovisier, Tél. 01 45 07 75 99,
E-mail : Jacques.Crovisier@obspm.fr


Ont également participé à ce travail N. Biver, P. Colom, D. Gautier, E. Gérard, E. Lellouch (Observatoire de Paris), D. Despois (Observatoire de Bordeaux), R. Moreno, G. Paubert, J. Wink (Institut de radio astronomie millimétrique) et plusieurs équipes étrangères.



En nous permettant d'étudier la matière dans des conditions extrêmes de température et de pression, les comètes constituent des laboratoires de physique exceptionnels. Leurs noyaux étant restés pratiquement inaltérés depuis leur création, elles sont également la pierre de touche de tous les scénarios de formation du Système Solaire.

L'apparition de la comète C/1995 O1 (Hale-Bopp) a constitué un événement exceptionnel. Il s'agit en effet d'une comète particulièrement brillante -- jusqu'à cent fois plus que la comète de Halley -- qui est restée visible à l'œil nu pendant plusieurs mois. Aucun objet de cette classe n'avait encore bénéficié des moyens de l'astronomie moderne. Parmi les nombreux résultats nouveaux obtenus sur cette comète, nous nous concentrons ici sur les observations de nouvelles molécules dans les domaines radio et infrarouge qui nous permettent de cerner la composition des noyaux cométaires et les processus physico-chimiques qui se déroulent dans leurs atmosphères.

1. Introduction

Les comètes sont des agrégats de glaces et de grains réfractaires, de quelques kilomètres de diamètre, dont l'origine et l'histoire sont encore très mal connues. Rappelons que lorsqu'une comète s'approche du Soleil, les glaces se subliment, conduisant à la formation d'une atmosphère -- la coma -- et à la libération des grains. Ces derniers vont former une queue de poussières. C'est cette dernière qui rend parfois les comètes si spectaculaires et populaires.

Elles se sont formées il y a 4,5 milliards d'années, en même temps que le Soleil, et sont, avec les astéroıdes, les descendants directs des petits corps qui ont donné naissance aux planètes. Ayant peu évolué depuis leur formation, les comètes sont considérées comme les échantillons les plus représentatifs du Système Solaire primitif. En effet, préservées d'échauffement interne et sans gravité propre, à l'encontre des planètes, elles n'ont pu subir de différenciation. Parce qu'elles se sont formées dans des régions très reculées et ont passé la plus grande partie de leur vie loin du Soleil, elles ont pu piéger de nombreux éléments volatils de la Nébuleuse Solaire sous forme de glaces, qu'elles ont gardées intactes par la suite. Le retour de tels objets dans le Système Solaire interne nous offre donc la possibilité appréciée d'étudier la composition chimique de la Nébuleuse Solaire primitive telle qu'elle était il y a 4,5 milliards d'années. L'enjeu est de savoir si de tels objets ont pu incorporer plus ou moins intacts des grains interstellaires, ou si leur matière a perdu la mémoire de ses origines interstellaires en subissant des transformations chimiques profondes dans la Nébuleuse Solaire primitive. L' étude des propriétés physiques des noyaux cométaires nous renseigne sur les mécanismes qui ont donné lieu à leur agglomération.

En 1986, une flottille de sondes spatiales avait exploré la comète de Halley, observant directement son noyau et étudiant in situ la composition du gaz et de la poussière de son atmosphère. À la suite de ces études, complétées par les observations au sol de quelques comètes brillantes apparues au début des années 90, un nombre limité de molécules constituant les glaces cométaires étaient identifiées de manière sûre: H2O, CO, CO2, H2CO, CH3OH, HCN, H2S.

Un événement cométaire exceptionnel a eu lieu en 1996 avec la comète C/1996 B2 (Hyakutake) qui passa à seulement 0,10 UA (unité astronomique, soit 1 UA = 150 millions de km) de la Terre fin mars. Bien qu'elle soit d'une taille et d'une activité modestes et que sa découverte tardive n'ait laissé aux astronomes que quelques semaines pour organiser leurs observations, la proximité de cette comète a conduit à plusieurs résultats nouveaux.

La comète Hale-Bopp a été découverte fin juillet 1995, alors qu'elle était encore à 7 UA du Soleil et déjà très active. Elle est passée au périhélie (point le plus près du Soleil), à 0,9 UA du Soleil, le 1er avril 1997. Cela a laissé le temps aux astronomes d'organiser les observations. Il a été possible de suivre, de 7 à 0,9 UA, l'évolution de la comète et l'apparition successive des différentes molécules sublimées des glaces cométaires. Une telle étude n'avait jamais pu être faite auparavant.

2. L'évolution de la comète

Dès sa découverte, la comète Hale-Bopp a été régulièrement suivie avec les radiotélescopes de l'IRAM (Institut de radioastronomie millimétrique ; une antenne unique de 30 m en Espagne et un interféromètre de 5 antennes de 15 m sur le Plateau de Bure, dans les Hautes Alpes), du JCMT (James Clerk Maxwell Radiotélescope ; une antenne de 15 m sur le Mauna Kea, à Hawaı), du CSO (Caltech Submillimeter Observatory ; une antenne de 10 m, également à Hawaı), du radiotélescope décimétrique de Nançay (Cher), puis du SEST (Submillimetre ESO-Swedish Telescope) au Chili.

À la distance héliocentrique de 6,6 UA, déjà, le monoxyde de carbone a été identifié. À cette distance, la température de la surface du noyau est insuffisante pour permettre une sublimation efficace de l'eau, le composant principal des glaces. La sublimation de molécules plus volatiles est donc nécessaire pour expliquer une activité si loin du Soleil. Au fur et à mesure que la comète s'est approchée du Soleil, se sont ensuite successivement révélées les molécules CH3OH, OH (radical indicateur de H2O), HCN, H2S, CS (radical indicateur de CS2), H2CO, CH3CN. Les mesures de production gazeuse de ces molécules (Fig. 1) ont permis d'établir que l'on est passé d'une activité gouvernée par la sublimation de CO à une activité gouvernée par celle de l'eau à environ 3 UA du Soleil. La confrontation de ces mesures à des simulations numériques qui examinent la diffusion de la chaleur et des gaz dans un noyau poreux soumis au rayonnement solaire (recherche menée au Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l'environnement à Grenoble) permet de contraindre l'état physique des glaces à l'intérieur du noyau et les processus de sublimation/recondensation qui s'y déroulent et qui conduisent à une différenciation chimique des couches les plus extérieures. Plusieurs questions, directement liées à l'origine des glaces cométaires, sont soulevées, en particulier: 1) la façon dont les différentes glaces coexistent entre elles: en phases indépendantes ou piégées dans de la glace d'eau amorphe ? 2) le lien entre les rapports de mélange mesurés dans les atmosphères cométaires et ceux des noyaux primordiaux.

Les observations des raies radio de diverses molécules ont également permis d'étudier l'évolution des conditions physiques de l'atmosphère de la comète. Avec l'approche au Soleil, on a ainsi pu observer 1) une augmentation de la vitesse d'expansion de la coma (de 0,5 à 1,2 km s-1), par l'observation des profils des raies qui retracent fidèlement le champ de vitesse des molécules cométaires ; 2) une augmentation de la température (de 10 à 130 K), par l'observation simultanée de plusieurs raies de rotation d'une même molécule (CO, HCN, ou surtout CH3OH). Ces évolutions traduisent le chauffage de l'atmosphère cométaire suite à des processus photolytiques et sont en plein accord avec les prédictions des modèles thermodynamiques.

Figure 1: L'évolution des taux de production de différentes molécules dans la comète Hale-Bopp lors de son approche du Soleil, en fonction de la distance héliocentrique, mesurés à partir d'observations radio.
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3. Les nouvelles molécules cométaires

Les observations de la comète Hyakutake puis surtout celles de Hale-Bopp ont permis d'améliorer spectaculairement notre connaissance des molécules mères cométaires -- celles qui proviennent directement de la sublimation des glaces du noyau. Le nombre de molécules identifiées a en effet presque triplé. La spectroscopie radio s'est révélée être une technique particulièrement efficace, en permettant l'identification sans ambiguıté par leurs raies de rotation de molécules parfois complexes et dont certaines ne sont présentes qu'à l'état de traces. La spectroscopie infrarouge a complété le travail avec l'étude des molécules comme les hydrocarbures qui, dépourvues de moment dipolaire, n'ont pas de raies de rotation permises, mais présentent de fortes bandes de vibration.

Les molécules les plus abondantes, outre l'eau, sont le monoxyde et le dioxyde de carbone, le méthanol CH3OH et le formaldéhyde H2CO.

Parmi les nouvelles molécules organiques identifiées, citons l'acide isocyanique HNCO, l'acide formique HCOOH (Fig. 2), le formamide NH2CHO (Fig. 2) et le formiate de méthyle HCOOCH3 (peut-être la plus grosse molécule fermement identifiée dans une comète). L'azote est représenté par l'ammoniac NH3 et plusieurs nitriles : outre le cyanure d'hydrogène HCN, il y a son isomère HNC, le cyanure de méthyle CH3CN et le cyanoacétylène HC3N. Des observations infrarouges menées du sol ont révélé quelques hydrocarbures simples : le méthane CH4, l'acétylène C2H2 et l'éthane C2H6.

Nous connaissons maintenant plusieurs molécules soufrées : en plus de H2S, CS (sans doute un produit de décomposition de CS2) et S2 (seulement observé dans les comètes C/1983 H1 IRAS-Araki-Alcock et C/1996 B2 Hyakutake, deux comètes qui sont passées très près de la Terre), se sont révélés SO, SO2, OCS et le thioformaldéhyde H2CS.

Le Tableau 1 résume notre connaissance de la composition des molécules mères issues du noyau de la comète Hale-Bopp. Plusieurs de ces molécules n'ont encore jamais été observées dans d'autres objets du Système Solaire, alors qu'elles sont présentes dans les régions de formation d'étoiles du milieu interstellaire. Il est frappant de constater que les rapports de mélange sont fort semblables à ceux mesurés dans les glaces interstellaires. Dans ces dernières, les molécules H2O, CO2, CO, CH3OH, CH4 et H2CO ont été directement identifiées dans le domaine infrarouge à l'aide notamment du satellite ISO. La composition du gaz présent dans certaines régions chaudes du milieu interstellaire, dont on pense qu'elle reflète au moins partiellement la sublimation des grains, a permis d'étendre l'analogie à l'ensemble des molécules détectées dans les comètes.


Table 1: Les molécules ``mères" identifiées dans la comète Hale-Bopp. Les abondances relatives sont données en nombre de molécules par rapport à l'eau lorsque la comète était à environ 1 UA du Soleil.
\begin{table}
{\footnotesize\begin{verbatim}----------------------------------...
...ale-Bopp~; nous donnons ici son abondance mesur\'ee dans Hyakutake.
}\end{table}


En plus des molécules mères, des ions cométaires ont été observés pour la première fois en radio : CO+ (déjà connu par ses raies dans le spectre visible des queues cométaires), HCO+ et H3O+. Ces ions permettent une approche de la chimie des atmosphères cométaires, dominée par la photodissociation et ionisation par l'ultraviolet solaire et par les réactions ions-neutres. Les profils de leurs raies, fort différents de ceux des espèces neutres, montrent l'interaction des ions cométaires avec le vent solaire.

Figure: En haut, la raie 110, 11 - 100, 10 à 227,606 GHz du formamide (NH2CHO) observé le 5 avril 1997 dans la comète Hale-Bopp avec le radiotélescope de 30 m de l'IRAM, en Espagne. En bas, la raie de l'acide formique (HCOOH) à 224,977 GHz (mélange des transitions 105, 6 - 95, 5 et 105, 5 - 95, 4), observée les 20 et 21 mars 1997 dans la même comète avec l'interféromètre de l'IRAM au Plateau de Bure. Le référentiel de vitesse pour l'axe des abcisses est la vitesse du noyau. L'élargissement des raies par effet Doppler traduit l'expansion de l'atmosphère avec une vitesse de l'ordre de 1 km/s.
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3.1 Les isomères HCN et HNC

L'isocyanure d'hydrogène HNC, inconnu sur Terre, est un isomère métastable de HCN dont il diffère par l'organisation de ses liaisons chimiques. Il a été observé pour la première fois dans la comète Hyakutake avec les radiotélescopes submillimétriques du JCMT et du CSO. HNC est une molécule importante dans les nuages interstellaires où des rapports d'abondance HNC/HCN de 0,01 à 1,5 sont couramment observés. Dans le milieu interstellaire, HCN et HNC proviendraient de la recombinaison dissociative de HCNH+ qui produit ces deux molécules avec des probabilités égales. Dans la comète Hale-Bopp, on a observé HNC/HCN variant de 0,03 à plus de 0,2 lorsque la comète s'est approchée du Soleil (Fig. 1). Les valeurs de ce rapport, proches de celles observées dans le milieu interstellaire, semblent militer en faveur d'une incorporation directe de grains interstellaires dans les glaces cométaires. Cependant, leur variation avec la distance au Soleil suggère fortement que des réactions chimiques dans l'atmosphère cométaire ou à la surface du noyau ont pu altérer ce rapport, ou même créer HNC à partir de HCN.

3.2 HDO et le rapport D/H

Un des meilleurs arguments en faveur d'une origine interstellaire du matériau cométaire est sans conteste l'abondance du deutérium, mesurée pour la première fois dans l'eau de la comète P/Halley par les spectromètres de masse de Giotto. Des observations submillimétriques au CSO de la comète Hyakutake et au JCMT de la comète Hale-Bopp ont permis la détection directe de l'eau deutérée HDO, à partir de sa transition à 464,924 GHz (Fig. 3). Une autre molécule deutérée détecté dans la comète Hale-Bopp est DCN. Les nouvelles mesures de (D/H) H2O confirment une valeur proche de 3×10-4. Cette valeur est dix fois supérieure à la valeur protosolaire dans H2, estimée notamment par des mesures de HD/H2 dans Jupiter. Une telle valeur ne peut s'expliquer par les réactions de fractionnement chimique entre molécules neutres qui ont eu lieu dans les régions externes de la Nébuleuse Solaire où se sont formées les comètes. Pour permettre la migration des atomes de deutérium du réservoir principal H2 vers les espèces deutérées moins abondantes, il faut faire intervenir des réactions ions-molécules à basse température, c'est-à-dire celles qui sont à l'origine d' enrichissements similaires dans certaines régions du milieu interstellaire.

Si les glaces cométaires ont largement retenu la signature du D/H des grains interstellaires, c'est qu'elles n'ont eu que peu d'échanges avec l'immense réservoir d'hydrogène de la Nébuleuse Solaire, bien moins enrichi. L'enrichissement en deutérium dans l'eau cométaire est cependant inférieur à celui mesuré dans certaines phases de météorites plus représentatives du rapport (D/H) H2O interstellaire. L'eau interstellaire a ainsi été partiellement reprocessée dans la Nébuleuse Solaire avant d'être incorporée aux comètes. Des modèles de diffusion turbulente de la Nébuleuse Solaire, prenant en compte son évolution temporelle, permettent par ces mesures de deutération de contraindre le lieu et le moment de formation des comètes.

Il est à noter que ces nouveaux résultats confirment que le rapport D/H dans l'eau cométaire est 2 fois plus important que celui mesuré dans l'eau terrestre. Ceci contredit l'hypothèse parfois avancée selon laquelle des impacts de comètes ont contribué de façon importante à la formation des océans, sans pour autant exclure un rôle majeur de la matière cométaire dans l'évolution prébiotique et l'origine de la vie.

Figure 3: La raie 10, 1 - 10, 0 de HDO à 464,925 GHz observée avec le James Clerk Maxwell Telescope le 5 avril 1997 dans la comète Hale-Bopp. Deux raies du méthanol apparaissent également dans le spectre.
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4. Les observations interférométriques
au Plateau de Bure

Les passages exceptionnels des comètes Hyakutake et Hale-Bopp justifiaient de tenter les premières observations interférométriques dans le domaine millimétrique (Fig. 4). Les observations effectuées avec le réseau d'antennes de l'IRAM installé au Plateau de Bure ont permis d'obtenir des cartes des raies de HCN J(1-0) et CO J(2-1) avec une résolution spatiale d'une centaine de kilomètres dans la comète Hyakutake en mars 1996. Dans la comète Hale-Bopp, neuf molécules (CO, HCN, CH3OH, CS, HNC, H2CO, HNCO, SO, H2S) ont été cartographiées à la mi-mars 1997. Par ailleurs, l'émission thermique de ses poussières et de son noyau a été détectée à 1 et 3 mm de longueur d'onde.

Ces observations, encore en cours d'analyse, font apparaıtre d'intéressantes structures spatiales dans l'atmosphère de gaz, qui seront à comparer à la morphologie de la coma de poussières observée dans le domaine visible. Un fait remarquable dans Hale-Bopp, observé au Plateau de Bure, est la présence d'un jet de CO qui suit la rotation du noyau. Mais l'enjeu principal de ces observations est d'élucider l'origine de certaines molécules dans la coma. Les observations in situ de la comète de Halley ont en effet révélé qu'une fraction importante du CO et du H2CO présents dans la coma était libérée non par le noyau, mais par une source étendue qui pourrait être ces petits grains organiques ``CHON" détectés par les analyseurs de poussières des sondes spatiales Giotto et VEGA et composés essentiellement de C, H, O, N. Les cartes interférométriques confirment que H2CO provient presque exclusivement d'une source étendue. Un autre résultat définitif déjà établi par les observations du Plateau de Bure concerne l'origine de SO : cette molécule est produite essentiellement dans la coma, au moins partiellement par la dissociation de SO2.

La mesure du flux continuum dû à l'émission thermique indique que le noyau de la comète Hale-Bopp a un diamètre d'une quarantaine de kilomètres. Des observations avec le Télescope spatial Hubble fournissent la même estimation, à partir du flux solaire réfléchi dans le domaine visible. C'est la grande taille du noyau de la comète Hale-Bopp (pour mémoire, celui de la comète de Halley a un diamètre équivalent de 10 km) qui lui confère son extraordinaire activité.

Figure 4: Carte de la raie de CO à 230 GHz observée dans la comète Hale-Bopp le 11 mars 1997 avec l'interféromètre du Plateau de Bure de l'IRAM. Les structures observées montrent la présence de jets de gaz provenant du noyau. La résolution spatiale (1,5 secondes d'arc, soit 1500 km au niveau de la comète) est donnée en bas à gauche de la figure.
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5. Les observations du satellite ISO

L'apparition de la comète Hale-Bopp a coıncidé avec la période d'activité de l'Observatoire spatial infrarouge (ISO). Cependant, les fenêtres de visibilité de cet instrument, et en particulier les contraintes d'élongation solaire (le télescope devant rester pointé à 90 ± 30o du Soleil pour des raisons thermiques et pour un bon rendement de ses panneaux solaires) furent telles que les observations de la comète n'ont été possibles que lorsqu'elle était à plus de 2,8 UA du Soleil, soit avant, soit après son périhélie.

Les spectres ISO de la comète Hale-Bopp ont révélé les bandes de H2O à 2,7 μm, de CO2 à 4,25 μm et de CO à 4,65 μm. Ces bandes fondamentales de vibration sont émises par fluorescence excitée par le rayonnement solaire. Il est pratiquement impossible d'observer les bandes de H2O et de CO2 du sol, en raison de l'absorption par l'atmosphère terrestre.

Le spectre de l'eau vers 2,7 μm, observé avec une grande précision et une bonne résolution spectrale (Fig. 5), a permis de distinguer les raies individuelles de ro-vibration. Il est possible d'en déduire certaines conditions physiques de cette molécule comme sa température, ainsi estimée à 28 K. C'est beaucoup moins que la température des poussières cométaires ou de la surface du noyau (environ 200 K). En effet, le gaz s'échappe du noyau comme un jet supersonique et se refroidit.

Un autre élément d'information important peut être tiré de ce spectre. Selon les lois de la mécanique quantique, la molécule d'eau peut exister sous deux états, ortho et para, suivant que la somme des spins nucléaires des atomes d'hydrogène qui la composent est 1 ou 0. Tout se passe comme s'il existait deux espèces de molécules d'eau, qui ne peuvent se transformer l'une en l'autre ni par transition radiative, ni par collision, seulement par réaction chimique. La répartition entre ces deux états -- le rapport ortho sur para -- ne dépend que de la température à la formation des molécules d'eau et se préserve au cours du temps. Nous avons ainsi accès à une caractéristique essentielle des origines des comètes.

D'après le spectre de H2O de Hale-Bopp observé par ISO (Fig. 5), où les raies de l'eau ortho et de l'eau para sont séparées, le rapport ortho-sur-para est 2,45±0,10, ce qui correspond à une température de 25 K environ. Cette basse température suggère que l'eau cométaire a dû se former soit dans des nuages interstellaires, soit dans une région froide de la Nébuleuse Solaire primitive sans subir de réactions chimiques ultérieures, préservant ainsi son rapport ortho-sur-para.

Figure 5: Le spectre de l'eau vers 2,7 μm observé par ISO dans la comète Hale-Bopp à 2,9 UA du Soleil. La résolution spectrale est de 1500. La courbe du bas est un spectre de fluorescence de l'eau calculé pour une température de rotation de 28,5 K et un rapport ortho-sur-para de 2,45. Toutes les raies observées correspondent à des raies de l'eau, sauf une raie du radical OH à 2,869 μm.
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On savait depuis 30 ans, par la présence de leurs fortes bandes à 10 et 20 μm, que les silicates étaient un constituant essentiel des poussières cométaires. Mais la nature précise de ces silicates, que l'on tentait de préciser par l'étude de la forme de la bande à 10 μm, la seule bien observable du sol, restait mal connue. Le spectre de la comète Hale-Bopp de 6 à 45 μm observé par ISO (Fig. 6) nous a révélé d'autres bandes en plus de celles à 10 et 20 μm. Elles correspondent toutes à de l'olivine cristalline (les silicates amorphes ne comportent que des bandes larges et sans structure à 10 et 20 μm), et plus particulièrement à de l'olivine riche en magnésium (c'est à dire à de la forstérite Mg2SiO4). Bien sûr, la forstérite n'est sans doute qu'un constituant parmi d'autres des poussières cométaires. Des spectres vers 10 μm observés du sol lorsque la comète était plus près du Soleil, et sa poussière plus chaude, suggèrent la présence d'autres silicates comme le pyroxène (Mg,Fe)SiO3. On s'attend également à ce que des grains organiques soient présents (comme l'avaient montré les sondes spatiales lors de l'exploration de la comète de Halley).

Les silicates du milieu interstellaire ne présentent que les bandes larges et sans structure à 10 et 20 μm des silicates vitreux. Cependant, certains disques de poussières entourant des étoiles, observés également par ISO, montrent des spectres infrarouges ressemblant de façon frappante à celui de Hale-Bopp. On pense que ces étoiles et leurs disques -- apparentées aux systèmes tels que Vega ou β Pictoris -- sont des systèmes solaires en cours de formation.

Figure 6: Le spectre de la poussière cométaire observé par ISO de 7 à 45 μm dans la comète Hale-Bopp à 2,9 UA du Soleil. La résolution spectrale a été dégradée à 500. Tous les motifs spectraux correspondent à de l'olivine cristalline riche en magnésium et se superposent à l'émission d'un corps noir à 200 K environ.
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6. Conclusion : l'origine des comètes

Les comètes Hyakutake et Hale-Bopp sont des comètes à longue période. Elles proviennent vraisemblablement du nuage de Oort, où elles ont migré après leur formation dans le Système Solaire interne. L'analogie entre la composition des glaces cométaires et celle des glaces interstellaire, la présence de l'isomère HNC, la forte abondance de C2H2 et C2H6 par rapport à CH4, le rapport ortho-sur-para témoignant d'une basse température de formation de l'eau, et enfin l'abondance importante du deutérium dans l'eau cométaire, tout cela plaide en faveur d'une formation des comètes à partir du matériau interstellaire, ou en tout cas par des processus très similaires à ceux rencontrés dans le milieu interstellaire (réactions ion-molécule et à la surface de grains, par opposition aux réactions neutre-neutre dominantes dans la Nébuleuse Solaire interne). Il reste cependant à comprendre comment des composés réfractaires cristallins, qui semblent inexistants dans le milieu interstellaire, ont pu être incorporés. Les comètes n'ont peut-être pas une histoire si simple et sont justiciables d'encore bien des études.

Si notre connaissance de la composition de glaces et des poussières cométaires a largement progressé grâce aux observations de la comète Hale-Bopp, nous ignorons encore presque tout de la structure et des propriétés physiques des noyaux cométaires, des mécanismes de formation des atmosphères cométaires dans le voisinage immédiat de leur surface (sinon par des modèles et simulations). Plusieurs missions d'exploration spatiale de noyaux cométaires, comme la mission ROSETTA de l'Agence spatiale européenne, vont prochainement s'occuper de ces problèmes. N'oublions pas cependant que les comètes sont nombreuses et fort diverses. Les observations approfondies de quelques comètes exceptionnellement brillantes et l'exploration spatiale d'un nombre très limité d'objets ne sauraient remplacer des études systématiques de la population cométaire, par d'importants programmes d'observation au sol.


Pour en savoir plus.


``First International Conference on Comet Hale-Bopp", 1999. Earth Moon Planets Vol. 77, 78 et 79.

Biver N. et al. 1997. Science 275, 1915.

Bockelée-Morvan D. et al. 1998. Icarus 133, 147.

Bockelée-Morvan et al. 2000. Astron. Astrophys. 353, 1101.

Crovisier J. et al. 1997. Science 275, 1904.