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Une Ville flottante (1870).


Ce roman est tiré du voyage aux États-Unis de Jules Verne et de son frère Paul en 1867, à bord du navire géant le Great Eastern.

Nous nous concentrerons ici sur la publication de jour en jour de la position du navire et de sa marche (distance parcourue) quotidienne, visiblement reprises des notes de Jules Verne.

Le commandant et ses officiers prenaient la hauteur du Soleil tous les jours à midi ; une demi-heure après, la position du navire était affichée et portée à la connaissance des passagers :

« À midi moins un quart, le capitaine Anderson et deux officiers montèrent sur les passerelles. Le temps étant très-favorable aux observations, ils venaient prendre la hauteur du soleil. Chacun d’eux tenait à la main un sextant à lunette, et, de temps en temps, ils visaient l’horizon du sud, vers lequel les miroirs inclinés de leur instrument devaient ramener l’astre du jour.

« Midi », dit bientôt le capitaine.

Aussitôt un timonier piqua l’heure à la cloche de la passerelle, et toutes les montres du bord se réglèrent sur ce soleil dont le passage au méridien venait d’être relevé.

Une demi-heure après, on affichait l’observation suivante :

Lat. 51° 10’ N.
Long.
24° 13’ W.
Course :
227 miles. Distance : 550. »
(Chap. 12)

Je me suis amusé à recalculer la distance parcourue chaque jour par le navire.

Entre deux positions [latitude, longitude] (φ1, θ1) et (φ2, θ2), l'arc d parcouru suivant un grand cercle est donné par :

cos d = cos φ1 cos φ2 cos (θ1 – θ2) + sin φ1 sin φ2.

(Cette formule de trigonométrie sphérique s'obtient aisément en faisant le produit scalaire des vecteurs directeurs des deux positions.)

La distance parcourue en milles marins est alors simplement l'arc d exprimé en minutes d'arc. Les positions et les courses – rapportées et calculées – successives sont rassemblées dans le tableau ci-dessous.


La marche du Great Eastern.

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date      chap. latitude     longitude    course en milles
                                          (a)  (b)
----------------------------------------------------------------------------
26 mars         53° 24' 37"   2° 59' 22"                départ Liverpool (c)
                51° 23' 19"   9° 36' 20"  310 (275)     phare de Fastnet (c)
29 mars   11    51° 15'      18° 13'      323  323
30        12    51° 10'      24° 13'      227  227      
31        14    50°  8'      30° 44'      255  255      dimanche
 1 avril  15    48° 47'      36° 48'      250  250
 2        17    46° 29'      42° 25'      256  266 !
 3        18    44° 53'      47°  6'      227  218 !
 4        20    42° 32'      51° 59'      254  254
 5        23    41° 41' 11"  58° 37'      257  299 !
 6        25    41° 50'      61° 57'      193  149 !
 7        28    40° 33'      66° 21'      214  213      dimanche
                40° 27' 40"  74° 00'  9"  348  349      Sandy Hook (c)
 9                                                     arrivée à New York
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Les valeurs sont reprises de l'édition Hetzel in-18 numérisée par Gallica.
La longitude est par rapport au méridien de Greenwich.
La course est la distance parcourue depuis la position précedente :
(a) donnée par JV ;
(b) recalculée.
(c) les positions de ces lieux fixes, qui ne sont pas données dans le 
roman, ont été prises dans la Connaissance des temps. 

Discussion

  • Les courses rapportées et recalculées sont en excellent accord sauf en cinq occasions discutées ci-dessous.

  • La course Liverpool—Fastnet calculée selon un grand cercle (275 milles) est plus courte que celle annoncée (310 milles). C'est normal, car le navire, devant naviguer entre les côtes d'Angleterre et d'Irlande, a dû parcourir un plus long chemin.

  • Les autres désaccords portent sur les couples de jours des 2 et 3 avril, ainsi que des 5 et 6 avril. On constate que l'erreur sur la course d'un jour se rattrape le jour suivant. Ce qui suggère que les erreurs sont sur les positions des 2 et 5 avril. La lattitude changeant peu d'un jour à l'autre, ces erreurs sont plutôt imputables à la longitude. Tout rentre dans l'ordre si l'on diminue d'environ 15' la longitude du 2 avril, de 1° celle du 5 avril.

  • Pour toutes les valeurs du tableau, il y a accord entre le manuscrit de Nantes et l'édition Hetzel, sauf pour le 1er avril où on lit lat. = 48° 17' sur le manuscrit au lieu de 48° 47'. Cette erreur est sans grande influence sur la distance parcourue.

  • Enfin, on constate que le point astronomique a pu être fait tous les jours à midi sans interruption, une éclaircie apparaissant miraculeusement au bon moment même par mauvais temps. Est-ce bien réaliste ? (Sinon, certaines positions pourraient provenir d'une estime, ou avoir été inventées par Jules Verne.)

    Conclusion

    L'examen des positions et des courses successives du Great Eastern publiées dans Une Ville flottante montrent quelques incohérences. Je pense qu'elles proviennent d'erreurs de transcription de la longitude pour les positions des 2 et 5 avril. Il serait intéressant de vérifier si ces erreurs, qui sont également présentes dans le manuscrit de Nantes, le sont ou non dans les carnets de voyage de Jules Verne en dépôt à la bibliothèque d'Amiens. On ne peut pas exclure que ces erreurs figuraient originellement dans l'affichage des positions sur le Great Eastern.

    Bibliographie

  • Jules Verne, Une Ville flottante, Hetzel, Paris, 1870.
  • Ibid, manuscrit mjv B 97, Bibliothèque municipale de Nantes, 1869.
  • Ibid, édition présentée et annotée par Timothy Unwin, Liverpool Online Series, 2011.

    © 2011 Jacques Crovisier

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