Observatoire de Paris Institut national de recherche scientifique français Univerité Pierre et Marie Curie Université Paris Diderot - Paris 7

Exploitation scientifique des observations systématiques du Soleil à l’Observatoire pour l’étude des super éruptions

mardi 16 mai 2017

Les éruptions solaires impactent régulièrement l’environnement magnétique de la Terre avec des conséquences plus ou moins importantes sur les technologiques humaines (réseau électrique, trafic aérien, télécommunication, GPS, opération des satellites artificiels, …). Les observations stellaires montrent que des étoiles de type solaire peuvent produire des super éruptions, bien plus violentes que les éruptions auxquelles la Terre est soumise. Quelle est la probabilité que le Soleil produise ce type d’événement dont les conséquences seraient particulièrement néfastes pour nos sociétés humaines ?

Le catalogue centenaire d’observations du disque solaire effectuées à l’Observatoire avec le spectrohéliographe par le service d’observation solaire du LESIA, et distribuées par le service BASS2000-OP, représente une source unique au monde d’information pour répondre à ce type de question.

Notre société technologique utilise de plus en plus de moyens spatiaux dans la vie de tous les jours (GPS, téléphonie, météorologie …). De ce fait, elle devient de plus en plus sensible aux conséquences des événements brutaux auxquels l’environnement terrestre est soumis, et en premier lieu aux effets de l’activité solaire. Les éruptions solaires constituent les principales sources de perturbations de l’environnement magnétique terrestre. L’énergie de ces éruptions varie sur plusieurs ordres de grandeur. Les plus grandes éruptions solaires observées au cours des dernières décennies peuvent générer en quelques dizaines de minutes des énergies de quelques 1025 joules, voire 1026, soit près de 10 millions de fois l’électricité consommée dans le monde en un an ou encore un milliard de fois le souffle de la plus destructrice des bombes atomiques.

La quantification de l’énergie maximale en jeu est une question clé de l’astrophysique et de sa branche appliquée qu’est la météorologie de l’espace. Des super éruptions sur des étoiles actives de type solaire atteignent jusqu’à 1029 joules. Ces super éruptions peuvent-elles être produite par le Soleil ? La réponse à cette question importante est particulièrement ardue puisqu’elle revient à tenter de prévoir des événements qui n’ont jamais été observés. Il s’agit en effet de tenter d’extrapoler la fréquence d’événements très violents et peu fréquents à partir d’observations d’événements moins violents mais plus fréquents. Disposer d’observations régulières et continues du Soleil sur une longue période reste l’unique moyen d’approcher cette question de manière scientifiquement rigoureuse.

Les images du disque solaire, enregistrées très régulièrement à l’Observatoire de Paris depuis juillet 1908, soit près de 109 ans, permettent non seulement de recenser les éruptions les plus violentes, mais aussi et surtout d’apporter des informations précieuses sur les propriétés des régions sources de ces éruptions. Si l’observation régulière des taches solaires et leur dénombrement, donnant une idée approximative du niveau moyen de l’activité solaire, sont effectués depuis le 17ème siècle, ces observations n’apportent aucune information sur la production d’éruptions inhabituellement violentes et sur les régions sources.

Une récente étude menée par une équipe internationale (Japon, USA, R.-U., Allemagne), et publiée dans « The Astrophysical Journal », illustre de manière particulièrement pertinente l’apport du catalogue d’observations de l’Observatoire de Paris à des questions clefs actuelles de physique solaire et de météorologie de l’espace.

Dans cette étude, les auteurs se sont tout d’abord intéressés aux éruptions les plus violentes enregistrées par le satellite SDO entre mai 2010 et avril 2016. Ils ont ensuite déterminé les propriétés observationnelles de ces éruptions, comme la durée et le flux lumineux, ainsi que plusieurs des propriétés des régions sources de ces éruptions, dont la taille, la morphologie, la disposition et le flux magnétique des taches solaires, ainsi que la surface couverte par l’embrillancement lors de l’éruption (les rubans d’éruptions). Ils ont ensuite déterminé les relations statistiques entre ces différentes quantités et estimé l’énergie qui avait pu être libérée lors de ces éruptions.

A partir des relations trouvées, les auteurs de l’étude ont ensuite voulu déterminer l’énergie qui a dû être libérée par l’éruption ayant présenté la plus grande surface d’embrillancement observée à l’ère moderne. Ils ont dû pour cela consulter le catalogue centenaire d’observations de l’Observatoire de Paris. En analysant le catalogue historique d’observations du spectrohéliographe de Meudon, mis à disposition via la base de données BASS2000-OP, les auteurs de l’étude ont ainsi pu accéder aux observations de l’éruption du 25 Juillet 1946 (voir Figure 1). En mesurant la taille des taches et la surface des rubans d’éruptions, ils ont pu confirmer les relations établies avec les mesures contemporaines. Ils ont enfin estimé avec un modèle analytique simplifié que l’énergie libérée lors de cette éruption est de l’ordre de 1027 joules, soit un ordre de grandeur de plus que les éruptions observées dans la période spatiale contemporaine.


Figure 1
Figure 1

Observations avec le spectrohéliographe de Meudon de la région active et de l’éruption du 25 Juillet 1946. Cette éruption est celle présentant la plus grande surface d’embrillancements observée depuis la fin du XIXème siècle. (Adapté de Toriumi et al. ApJ. 2017)


Ces travaux complémentent les travaux théoriques menés au LESIA. Le pôle de physique solaire du LESIA s’intéresse depuis plusieurs années à cette question. A partir de modèles numériques obtenus avec le code OHM, le pôle solaire s’était en effet déjà intéressé au lien entre la taille des taches solaire et l’énergie maximale dégagée par les éruptions (cf. Figure 2). En s’intéressant au plus grande groupe de taches observées, données elles aussi obtenues à partir du catalogue d’observations du spectrohéliographe de Meudon, les chercheurs du LESIA avaient estimé que la plus grande éruption de l’époque moderne devrait avoir une énergie de l’ordre de 6x1026 joules, proche des estimations observationnelles empiriques de l’équipe nippo-américaine.


Figure 2
Figure 2

A gauche : observations avec le spectrohéliographe de Meudon de la région active du 5 Avril 1947. Cette région est celle présentant le plus grand groupe de taches observées depuis la fin du XIXème siècle.
A droite : schéma représentant la prédiction théorique de l’énergie des éruptions atteignable en fonction de la surface couverte par les taches solaires. (Adapté de Aulanier et al. A&A. 2013)


A travers les observations solaires effectuées à l’Observatoire de Paris, ces deux travaux permettent donc de fixer une limite à l’énergie maximale attendue lors des éruptions solaires, et donc par la suite de dimensionner les protections à mettre en place au niveau des différentes technologies sensibles aux effets des éruptions solaires. Les travaux de ces équipes illustrent toutes deux l’apport essentiel des observations continues du spectrohéliographe de Meudon, années après années, et leur mise à disposition à l’ensemble de la communauté, pour répondre non seulement à des questions clefs de physique solaire, mais pour adresser des problématiques centrales pour la société de sécurité des biens et des personnes. Si la recherche scientifique s’apparente souvent à des courses de vitesse, de précision, à des prouesses techniques, il s’agit aussi parfois d’une course d’endurance, ici afin de construire un catalogue régulier, continu et consistant de données qui pourront être exploitées par les générations futures pour comprendre l’évolution à long terme de notre astre.

Pour en savoir plus

Les observations solaires

Les observations sont menées tous les jours par l’équipe du service d’observation solaire du LESIA, dirigé par Isabelle Bualé. Les observateurs solaires s’occupent aussi de la numérisation de l’ensemble des observations historiques. L’ensemble de ces données est mis à disposition via la base de donnée solaire BASS2000-OP.

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Bâtiment "Le Grand sidérostat" sur le site de Meudon, qui accueille les instruments solaires

Articles scientifiques

  • “Magnetic Properties of Solar Active Regions that Govern Large Solar Flares and Eruptions” ; Toriumi, S., Schrijver, C. J., Harra, L. K., Hudson, H., & Nagashima, K ; ApJ, Volume 834, Issue 1, id. 56, 19 pp., 2017,

http://iopscience.iop.org/article/10.3847/1538-4357/834/1/56

  • “The standard flare model in three dimensions. II. Upper limit on solar flare energy.” ; G. Aulanier, P. Démoulin, C. J. Schrijver, M. Janvier, E. Pariat & B. Schmieder ; A&A, Volume 549, id.A66, 7 pp., 2013.

http://link.springer.com/article/10.1007%2Fs11207-012-9951-6
https://www.obspm.fr/solar-flares-energy-no-apocalypse.html?lang=fr

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