L'occultation stellaire par Charon du 11 juillet 2005



Un phénomène très rare d'occultation stellaire a permis de déterminer précisément la taille de Charon: en effet, le 11 juillet 2005, le satellite de Pluton est passé devant l'étoile UCAC2 2625713, de magnitude 15. Le phénomène a pu être observé depuis plusieurs sites en Amérique du Sud, lors d'une campagne organisée par une équipe de l'Observatoire de Paris. Cette observation fournit le rayon du satellite, 603.6 +/- 5 km, ainsi que sa densité, 1.71 +/- 0.08 g cm-3.


La prédiction d'un tel événement est un défi quand on sait que Charon a un diamètre angulaire de 55 millièmes de seconde d'arc (mas), soit l'équivalent d'une pièce d'un euro observée à 100 km de distance! La petitesse du diamètre angulaire de Charon explique la rareté d'un tel événement: une seule occultation par Charon avait été observée il y a plus de 25 ans -le 7 Avril 1980 - en Afrique du Sud, et depuis un seul site, ce qui n'avait pas permis la mesure du rayon de Charon.

Des mesures faites à l'Observatoire de Bordeaux et au Brésil dans les mois qui précédèrent le phénomène de juillet 2005 ont permis d'obtenir une précision astrométrique de l'ordre de 20 mas, montrant que l'occultation pouvait être visible de plusieurs gros télescopes au Chili, ainsi que de télescopes plus petits au Brésil, Paraguay, Uruguay et Argentine (Figure 1).

Figure 1: Trajectoire de l'ombre de Charon le 11 juillet 2005. Les symboles en vert indiquent les sites où des contacts avaient été pris pour effectuer l'observation. Les symboles entourés en bleu indiquent les sites où l'occultation a pu être détectée. Seules les stations de San Pedro de Atacama, Paranal et El Leoncito ont fourni un rapport signal sur bruit suffisant pour contribuer à la mesure du rayon de Charon.

La chance a été du côté des astronomes, puisque l'ombre de Charon a balayé l'Amérique du Sud en incluant tous les gros instruments mobilisés à cette occasion: VLT, Magellan, CTIO, Gemini, SOAR, tous des télescopes de diamètre supérieur à 4 mètres.

L'équipe de l'Observatoire de Paris a ainsi pu recueillir des données du site de Paranal, obtenues avec la caméra d'optique adaptative NACO sur le VLT "Yepun", de 8.2-m de diamètre (Figure 2). Des données ont également été obtenues du site de Cerro El Leoncito en Argentine avec le télescope de 2.15-m "Jorge Sahade", et de San Pedro de Atacama (Chili) avec le télescope amateur italien "Campo Catino Austral Telescope", de 50 cm de diamètre.

Figure 2: Images du couple Pluton-Charon avant l'occultation. Est montrée ici la composition d'images (13x13 arcsec) prises par la caméra d'optique adaptative NACO installée sur l'un des VLT à l'Observatoire Européen Austral (site du Paranal), entre environ trois heures et une heure avant l'occultation, dans la bande K (2.2 microns). Les images ont été centrées sur le couple Pluton/Charon, l'objet double visible en haut de l'image, séparé d'environ 0.9 seconde d'arc. A cause du mouvement de Pluton dans le ciel, l'étoile occultée, à droite de Pluton, a laissé une traînée en pointillé sur l'image, ainsi qu'une autre étoile en bas à gauche.
Le pouvoir séparateur du télescope géant, la faible turbulence de l'atmosphère, encore diminuée par l'optique adaptative, permettent de séparer nettement le couple Pluton-Charon, malgré leur très faible distance : moins d'une seconde d'arc.

Le chronométrage précis de l'occultation dans ces trois sites a permis de reconstituer les "cordes" d'occultation avec des précisions d'une fraction de seconde, correspondant à quelques km au niveau de Charon (Figure 3). Il a alors été possible de déterminer le rayon de Charon, R= 603.6 km avec une barre d'erreur formelle de l'ordre de +/- 1.4 km. Cette barre d'erreur doit être augmentée à environ +/- 5 km compte tenu de la présence de possibles reliefs à la surface du satellite, et d'un éventuel aplatissement de ce dernier.

Figure 3: Reconstitution des cordes d'occultation à partir des trois stations où a été observé le phénomène: San Pedro de Atacama, Paranal (Chili) et El Leoncito (Argentine). L'ajustement d'un cercle aux extrémités de ces cordes fournit la rayon de Charon, 603.6 km. La flèche indique le sens de rotation du satellite.

Cette taille nous fournit la densité de Charon: 1.71 +/- 0.08 g cm-3, ce qui indique un mélange glace/roche, avec une fraction de roche de 55 à 60%. Jusqu'à présent la taille de Charon était estimée entre 600 et 650 km, et sa densité se trouvait dans une fourchette de 1.4 à 1.8 g/cm3.

La mesure de la taille de Charon pourrait avoir un "effet domino" sur la détermination de la taille (et donc la densité) de Pluton, ainsi que sur la structure de son atmosphère. En effet, on peut maintenant réanalyser les "phénomènes mutuels" (éclipses et occultations) de Pluton et Charon observés dans les années 1980 en fixant la valeur du rayon de Charon à sa valeur désormais mesurée par occultation, et en fixant le rayon orbital du satellite à sa valeur mesurée par le télescope spatial Hubble. On n'a alors qu'un paramètre libre, le rayon de Pluton, qui peut être déduit avec beaucoup plus de précision. Ce rayon pourra lui-même contraindre les modèles atmosphériques de Pluton, et discriminer entre les modèles qui incluent la présence de brumes et/ou d'une couche convective, et ceux qui prévoient au contraire une atmosphère transparente avec une brutale couche d'inversion près de la surface.

Cette occultation a enfin été l'occasion de fournir une limite supérieure à une atmosphère de Charon. Par exemple, nous pouvons donner une limite supérieure de 110 nanobar à la surface de Charon pour une éventuelle atmosphère isotherme d'azote. Cette limite descend à 15 nanobar s'il s'agit d'une atmosphère de méthane, une valeur mille fois plus faible que la pression atmosphérique à la surface de Pluton (Figure 4).

Figure 4: Composite des courbes de lumière obtenues au Paranal et à El Leoncito. L'axe des temps, en abscisses, a été traduit en distance au centre de Charon. Le modèle en grisé clair montre l'effet qu'aurait eu une atmosphère isotherme d'azote avec une pression de 110 nanobars à la surface du satellite. Le modèle en grisé sombre montre l'effet qu'aurait sur la courbe de lumière une atmosphère de méthane avec une pression au sol de 15 nanobars. Ces deux modèles sont des exemples de limites supérieures d'atmosphères possibles de Charon.

Pluton vient de rentrer dans la zone du ciel couverte par la Voie Lactée, nous promettant ainsi un nombre accru d'occultations jusque vers 2015. En attendant, c'est en janvier 2006 que doit être lancée la mission NASA "Pluto-Kuiper Belt Mission", qui doit atteindre la planète et son satellite en juillet 2015.

Référence
B. Sicardy, A. Bellucci,E. Gendron,F. Lacombe,S. Lacour, J. Lecacheux, E. Lellouch, S. Renner, S. Pau, F. Roques, T. Widemann, F. Colas, F. Vachier, N. Ageorge, O. Hainaut, O. Marco, W. Beisker, E. Hummel, C. Feinstein,H. Levato, A. Maury, E. Frappa, B. Gaillard, M. Lavayssière, M. Di Sora, F. Mallia, G. Masi, R. Behrend, F. Carrier, O. Mousis, P. Rousselot, A. Alvarez-Candal, D. Lazzaro, C. Veiga, A.H. Andrei, M. Assafin, D.N. da Silva Neto, R. Vieira Martins, C. Jacques, E. Pimentel, D. Weaver, J.-F Lecampion, F. Doncel, T. Momiyama, G. Tancredi:
"Charon's size and upper limit on the atmosphere from a stellar occultation" Nature, 5 Janvier 2006


Contact
Bruno Sicardy (Observatoire de Paris, LESIA)
Thomas Widemann (Observatoire de Paris, LESIA)