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Dernière vision du ciel libre avant d'entreprendre
le Voyage au centre de la Terre (1865-1867).
Nous nous intéresserons ici à la première partie du
roman de Jules Verne Voyage au centre de la Terre (1865-1867),
où le jeune Axel, le professeur Lidenbrock et leur guide Hans
parcourent sur le sol islandais un monde encore connu, avant de s'enfoncer
vers le centre de la Terre (du moins le croient-ils) dans un monde inconnu.
Le Snæfellsjökull (Jules Verne écrit Sneffels) est vite
devenu l'un des plus célèbres volcans du globe suite à
la parution du roman. On peut se demander pourquoi Verne a
sélectionné ce volcan plutôt qu'un autre parmi les
innombrables volcans islandais. Peut-être parce que celui-là,
longtemps supposé être le plus élevé d'Islande,
ne passait pas inaperçu des navires faisant escale à
Reykjavik, et qu'il avait fière allure sur les planches illustrant
les récits de voyages. Ensuite, parce qu'il était alors
inactif, condition nécessaire au déroulement du roman.
Jules Verne, suivant Edmond (1857, Géologie de l'Islande, p.
77), indique que la dernière éruption date de 1219. Les
datations modernes, cependant, font remonter la dernière
éruption à 200±150.
Cartes et images.
Dans son Guide des volcans d'Europe (Delachaux & Niestlé,
1974), Maurice Krafft propose une excursion à la presqu'île de
Snæfellsnes et au Snæfellsjökull. Un périple de
1200 km à faire en 4 jours minimum (« se méfier des
pistes étroites et des virages serrés »). L'excursion
proposée aborde le Snæfells par le nord alors que les
personnages de Jules Verne l'approchent du côté sud.
Au tout début du XXIe siècle, le journaliste Bertrand de
Lesquen a refait le voyage de Lidenbrock et ses compagnons sur le sol
d'Islande (Jules Verne, l'Odyssée de la Terre, Géo
hors-série No 11, 2003, pp. 6-49). Le trajet de Reykjavik au pied
du volcan s'est fait en voiture en trois heures, le Hvalfjördur
étant franchi en empruntant un tunnel routier sous-marin.
L'ascension finale n'a duré que 45 minutes en chenillette.
La carte de l'Islande figurant dans l'ouvrage
d'Ebenezer Henderson (1818). « Voici une des meilleures cartes de
l'Islande, celle d'Henderson. » (VCT, Chap. VI.)
La carte de l'Islande, d'après les relevés de
Gunnlaugsson, dessinée par Petermann et gravée par Swanston
(1850). « J'ai précisément reçu, il y a quelque
temps, une carte de mon ami Augustus Petermann de Leipzig » (VCT,
Chap. VI.)
La carte de l'Islande (ibid.) de Reykjavik au Snaefells. « Une sorte
de presqu'île semblable à un os décharné, que
termine une énorme rotule. » (VCT, Chap. VI.)
« Le Snæfellsjökull, glacier
voisin de Rejkiavik, le plus haut glacier qui existe en Islande. Vue prise
de Rejkiavik, à minuit. » (Gaimard 1838 - Atlas historique,
Pl. IV - dessin de M. A. Mayer). [Le reflet du Soleil sur la mer le place
au Nord-Ouest, avant son coucher ; ce qui situe la vue en fait avant minuit
(ou était-ce minuit à l'heure de Paris — 1h30 plus tard
— conservée par le chronomètre des marins ?).
L'intérieur de l'Islande recèle des glaciers plus
élevés que le Snæfellsjökull.] [Auguste
Étienne Mayer (1805-1890), peintre de marine, professeur de dessin
à l'École navale de Brest.]
« Mais avant de quitter le pont de la goelette, il
m'entraîna à l'avant, et là, du bout du doigt, il me
montra, à la partie septentrionale de la baie, une haute montagne
à deux pointes, un double cône couvert de neiges
éternelles. Le Sneffels ! s'écria-t-il, le Sneffels.
» (VCT, Chap IX, l'arrivée à Reykjavik)
Le Snæfellsjökull vu de Reykjavik
(photographie récente), à 120 km à vol d'oiseau.
Le Snæfellsjökull vu de la mer (Henderson 1818, tome 2,
planche p. 45). « une haute montagne à deux pointes, un
double cône couvert de neiges éternelles. » (VCT, Chap
IX, l'arrivée à Reykjavik)
Le Soleil de minuit.
Le cercle polaire arctique, à 66° 33' 45" de latitude,
frôle les côtes nord de l'Islande. Le
Snæfellsjökull est à 64° 48' 00" et Reykjavik
à 64° 08' 40", bien en dessous. Le Soleil ne brille pas
à
minuit en ces lieux.
[Le 23 juin 1863 ? Il y a des incohérences de date.]
« Enfin, à onze heures du soir, en pleine obscurité,
le sommet du Sneffels fut atteint, et, avant d'aller m'abriter à
l'intérieur du cratère, j'eu le temps d'apercevoir «
le soleil de minuit » au plus bas de sa carrière, projetant
ses pâles rayons sur l'île endormie à mes pieds.
» (Fin Chap. XV.)
Comment celà est-il possible ? On est proche du solstice
d'été, mais le Sneffels est à 1° 45' au sud
du cercle polaire et le soleil de minuit n'y est pas visible. Axel est
donc bien « en pleine obscurité ». Cependant, il a pu
voir au loin la partie nord de l'île encore
éclairée par le soleil. C'est limite !
Corrections :
- la réfraction, qui relève le Soleil d'environ 30' à l'horizon
- le bord supérieur du Soleil, 16' au dessus de son centre
- l'altitude, qui rabaisse l'horizon (s'il est dégagé) d'environ 45'
Tout compte fait, celà place à minuit le bord
supérieur du Soleil à 15' au dessous de l'horizon.
Exercice : Le lecteur poura essayer de déterminer l'heure
à laquelle le coucher de Soleil sur le Snæfellsjökull est
représenté sur la gravure de l'Atlas de Gaimard (ci-dessus).
Il devra s'aider de la carte montrant les positions de Reykjavik, du
Snæfellsjökull et des autres volcans plus à l'ouest sur
la presqu'île, ainsi que de la Connaissance des
temps de 1835 donnant la position du Soleil. La solution.
Le puits zénithal et la bonne étoile d'Axel.
Ce sujet a déjà été discuté par J.
Vialle (Voir
des étoiles en plein jour ?... 1996, Cahiers Clairaut,
75, pp. 42-43) et O. Sauzereau (Bêta de la Petite Ourse,
2006, Revue Jules Verne, 21, pp. 67-73).
[Le 28 juin 1863.]
« Et quand, étendu sur le dos, j'ouvris les yeux,
j'aperçus un point brillant à l'extrémité
de ce tube de trois mille pieds, qui se transformait en une gigantesque
lunette.
C'était une étoile dépouillée de toute
scintillation et qui, d'après mes calculs, devait être
β de la petite Ourse. » (Fin Chap. XVII.)
Selon une note laconique de William Butcher: « Il semble peu probable
que β soit visible sous les conditions données. » (Jules
Verne, Voyage au centre de la terre, édition de William Butcher,
folio classique Gallimard, 2014.)
L'astronomie étant une science exacte, il est aisé de
vérifier que β de la Petite Ourse (β UMi comme la notent
les astronomes) culmine à 9° du zénith, en dehors de la
zone de visibilité accessible à Axel.
Du fond de la caldera, à 3000 pieds de la surface, l'ouverture de la
caldera de 300 pieds de diamètre lui offre un champ de vue de
1,9° de diamètre. C'est bien moins que le champ de vue d'une
paire de jumelles classique (typiquement 6° pour des jumelles 8x50).
En la supposant parfaitement verticale, la caldera pointe une
région du ciel située à 64,8° de
déclinaison (c'est la latitude du Le Snæfellsjökull).
Axel peut espérer voir défiler les étoiles
situées à 64,8±1,0° de déclinaison. β
UMi, qui est à une déclinaison de 74° 09', lui
échappe.
Exercice : Mais peut-être Axel s'est-il trompé, et
l'étoile qu'il aperçoit n'est pas ß UMi. Je laisse au
lecteur le soin de rechercher quelles étoiles Axel aurait pu
apercevoir du fond de la caldera. La solution.
La traversée de la voûte de la salle Cassini par le puits
zénithal de l'Observatoire de Paris (photo J.C.).
La visibilité des étoiles en plein jour du fond d'un puits
est une légende qui date d'Aristote et s'est enrichie de
témoignages de John Herschel, Alexandre von Humboldt...
Dans son Astronomie Populaire,
François Arago y consacre un chapitre (De la
visibilité des astres dans les puits, Tome 1, Livre V, Chap.
VIII) qui est peut-être la source de Jules Verne. Camille Flammarion
y ajoutait foi (Voit-on les
étoiles en plein jour ? 1915, L'Astronomie,
29, pp. 210-211). Cette visibilité s'expliquerait, selon
Arago, par la suppression de toute lumière parasite. Mais ces
témoignages sont mis en doute par des éudes plus
récentes (J.-C. Houzeau , Vade-mecum
de l'astronome, 1882, pp. 852-853; F. de Roy, La
visibilité des étoiles en plein jour, 1941, Ciel
et Terre, 57, pp. 229-231).
Le puits zénithal de l'Observatoire de Paris est
célèbre. Il a sans doute contribué à cette
légende :
« Perrault aménage un puits vertical qui traverse tout le
bâtiment et s'enfonce dans les anciennes carrières sous
l'édifice. Sa hauteur totale est de 55 mètres. Il doit
servir à observer les étoiles passant au méridien
près du zénith : on espère ainsi s'affranchir de
la réfraction atmosphérique, mais l'air chaud de
l'intérieur du bâtiment s'engouffrant dans ce puits rend
les images si mauvaises que les observations sont impossibles. On dit,
à tort, qu'il a été fait exprès pour
voir les astres en plein jour, cependant personne ne les a vus
jusqu'à présent, quoique l'on eût souvent
regardé. » (L'Observatoire de Paris, 350 ans
de science, L. Bobis & J. Lequeux, Gallimard/Observatoire de Paris,
2012)
Selon une anecdote rapportée dans l'Almanach du Ciel 2020 de
Ciel et Espace :
« Moyennant finance, un concierge peu scrupuleux faisait descendre
ses visiteurs sous l'observatoire pour leur montrer une étoile
en plein jour ! Il s'agissait en fait d'un point lumineux cré
par une fissure de la terrasse... Un peu de plâtre mit fin
à la mystification. »
Cependant, l'observation d'Axel ne s'est pas faite en plein jour, mais dans
de meilleures conditions dans un ciel crépusculaire.
Mais pourquoi l'étoile ne scintillait-elle pas ?
François Arago, encore lui, nous a laissé une importante Notice sur
la scintillation des étoiles (Annuaire du Bureau des
longitudes, 1852, reproduite dans ses Œuvres
complètes, tome 7, pp. 1-111). Il n'y est pas mentionné
que la scintillation devrait disparaître pour les étoiles vues
du fond d'un puits, ou observées au zénith. Cependant, la
scintillation, qui dépend de la masse d'air traversée, est
bien plus importante près de l'horizon qu'au zénith.
Dans la première édition (celle in-18 non illustrée), β
est remplacé par un caractère bizarre :
Certains (comme William Butcher et Jean-Luc Steinmetz dans leurs
éditions critiques de ce roman) ont crû y reconnaître la
lettre σ (sigma). Mais il n'existe pas d'étoile σ de la
Petite Ourse ! (Selon l'usage, les lettres grecques désignent les
étoiles les plus brillantes d'une constellation, par ordre de
magnitude croissante avec l'ordre alphabétique ; l'étoile
σ UMi, si elle existait, serait une étoile peu brillante.) Il
s'agit simplement d'une variante typographique de la lettre β, sans
jambage lorsqu'elle est à l'intérieur d'un mot, selon la
tradition française (voir par exemple l'alphabet grec donné
par Arago dans son Astronomie
Populaire, Tome 1, p. 315).
Bibliographie
Jules Verne, Voyage au Centre de
la Terre, édition in-18, Hetzel, Paris, 1864.
Jules Verne, Voyage au Centre
de la Terre, édition in-8° illustrée, Hetzel,
Paris, 1867.
Jules Verne, Voyage au Centre de la Terre, avec préface,
commentaires et dossier de J.-P. Goldenstein, Pocket, 1991.
Jules Verne, Voyage au Centre de la Terre, édition
présentée, établie et annotée par William
Butcher, folio classique Gallimard, 2014.
Extraits
Jules Verne, Voyage au Centre de la Terre, texte
établi, présenté et annoté par Jean-Luc
Steinmetz, in Voyage au Centre de la Terre et autres romans,
Bibliothèque de la Pléïade, Gallimard, 2016.
Maurice Krafft, Guide des volcans d'Europe, Delachaux &
Niestlé, 1974.
Eggert Ólafsson Olafsen, Voyage en
Islande, 1802.
Uno von Troïl, Lettres
sur l'Islande, 1780.
Joseph Le Bas, Suède et
Norwége, in L'Univers pittoresque, Firmin Didot,
Paris, 1841. [La source de l'alphabet runique pour Jules Verne.]
Joseph Paul Gaimard (sous la direction de), Voyage en Islande
et au Groënland, 1838-1852 (plusieurs tomes dont des atlas de
planches).
[L'un des co-auteurs est le Meudonnais Louis Eugène Robert
(1806-1882).]
Charles Edmond (Chojecki), Voyages
dans les mers du nord à bord de la corvette la « Reine Hortense
», 1857. [Avec cartes et des Notices scientifiques
incluant une Géologie de l'Islande.]
Petermann & Swanston, Danish
Islands in the North Atlantic Ocean: Iceland/Faroe Islands, in
The Royal Illustrated Atlas of Modern Geography, ca 1860. [Carte
dressée par Gunnlaugsson.]
Ebenezer Henderson, Iceland,
or the Journal of a Residence on that Island, 1818. [Carte d'Henderson
: vol 1 p. xvii.]
Frédéric Lacroix, Islande,
in L'Univers, Îles diverses des trois continents et régions
circompolaires, Firmin Didot, Paris, 1856, pp. 222-296.
© 2015-2020 Jacques Crovisier
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